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Good favour de Rebecca Daly

Publié le 01/09/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Chemin de croix

Une communauté chrétienne isolée dans la forêt traverse une crise de foi suite à la disparition d’un enfant dont la mère, Anne (notre compatriote Helena Coppejans) fut coupable d’adultère avec un homme marié (Alexandre Willaume). Les phénomènes étranges et les accidents se multiplient : tous les veaux sont mort-nés, les abeilles qui produisent le miel, principal moyen de subsistance du village, meurent elles aussi sans explication logique et un homme manque de perdre la vie lors d’une partie de chasse. Devant ces événements inquiétants qui mettent en danger la survie de la communauté, plusieurs membres, croyant à une malédiction divine, désertent et retournent vers la ville.

Un matin, Tom (Vincent Romeo, belge lui aussi), un jeune homme de 17 ans, sort de la forêt et débarque dans la communauté, fiévreux et, à l’exception de son prénom, sans le moindre souvenir de son passé. Recueilli et soigné (la communauté accueille à bras ouverts les malades et tous ceux qui n’ont plus leur place dans la société moderne), Tom est accueilli dans un premier temps avec une certaine méfiance par cette communauté coupée du monde extérieur, notamment par le turbulent Hans, l’amant d’Anne. Leur leader, le taciturne mais bienveillant Mikkel (Lars Brygmann), pour sa part, se montre immédiatement favorable à l’arrivée de Tom, qu’il invite à rester auprès d’eux autant qu’il le souhaitera.

Tom devient vite populaire, notamment auprès des enfants, qui l’adorent et le suivent partout, et auprès de la jeune Shosanna (Clara Rugaard), qui, lors de leur première rencontre, le surprend entièrement nu dans sa chambre et tombe en pâmoison. Mais lorsque des stigmates semblables à ceux du Christ crucifié se manifestent sur le corps du jeune homme (aux poignets, aux chevilles et sur le flan) et qu’il sauve Shosanna de la noyade lors d’une séance de baptême dans la rivière qui a dégénéré, Tom est désormais considéré comme une figure messianique et bienfaitrice. Tom est-il le Christ réincarné ? Ses pouvoirs sont-ils sacrés ou ne sont-ils que coïncidences ? Est-il un être sacré ou profane ?

 

À l’instar des deux premiers films de la réalisatrice, The Other Side of Sleep (2011) et Mammal (2016), Good Favour est une œuvre atmosphérique, insaisissable et austère, qui ne révèle que difficilement ses secrets, la réalisatrice irlandaise préférant poser de nombreuses questions plutôt que d’y apporter des réponses. Pas de résolution miracle à la fin du film ici - le personnage central restera aussi énigmatique du début à la fin - mais une série d’images et de séquences tour à tour choquantes ou merveilleuses que le spectateur sera invité à interpréter selon son propre cheminement religieux, sa propre morale et sa propre imagination. Ce ne sont pas les pistes qui manquent, le récit étant agencé de telle sorte que Tom peut tout aussi bien être une réincarnation divine que le loup dans la bergerie obligeant les habitants de la communauté à payer le prix de leurs péchés et de leur hypocrisie. En effet, si les membres de la communauté ne sont pas dépeints, une fois n’est pas coutume, comme de dangereux fanatiques (leurs contacts avec un policier venu de la ville sont très cordiaux), certaines des règles auxquelles ils se soumettent posent néanmoins de sérieuses questions morales : pourquoi refusent-ils aux personnes âgées et malades de se rendre à l’hôpital si elles en expriment le souhait ? Et pourquoi est-il si important que nul ne traverse une frontière (invisible) délimitée dans les bois, comme dans The Village, le film de M. Night Shyamalan ?

 

Alors, Christ ou Antéchrist ? Aucun des deux ? Tom peut-il ressusciter les morts ou guérir les malades ? Quelle est la signification de ce cerf qui apparaît régulièrement dans ses visions ? Est-il une menace ou un espoir inespéré ? Et si l’un n’empêchait pas l’autre ?... Toutes les pistes sont envisageables et, si le récit ne répond à aucune de ces questions de manière définitive, la réalisatrice nous invite à une réflexion adulte sur diverses préoccupations religieuses et morales, loin d’une vision schématique hollywoodienne et simplette avec le Bien d’un côté et le Mal de l’autre. Avec des phénomènes surnaturels qui ne sont jamais montrés de manière explicite, une atmosphère entre malaise et rêve éveillé et un érotisme diffus, la réalisatrice échafaude une mise en scène minutieuse en la basant entièrement sur la notion de doute, sur l’ambiguïté de son énigmatique héros et sur la volonté aveugle des paroissiens à prendre leur nouveau Messie pour une lanterne.

Magnifiquement photographiée par Tibor Dingelstad (certaines images sont de véritables toiles de maître), cette parabole passionnante sur l’isolement social et sur les bienfaits et méfaits de la religion organisée s’avérera probablement trop frustrante pour certains, par son refus acharné de livrer des réponses toutes faites. Mais si l’issue du périple est incertaine, le chemin parcouru n’en est pas moins passionnant.

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