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Hunted de Vincent Paronnaud

Publié le 02/03/2022 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La compagnie des loups

Architecte, Eve (Lucie Debay) supervise un projet de construction dans une triste banlieue irlandaise. Harcelée au téléphone par un compagnon jaloux et par un patron odieux, elle décide, sur un coup de tête, de passer la soirée dans un bar. Elle y rencontre un homme charmant (Arieh Worthalter), au regard hypnotique. Entre eux, le courant passe immédiatement et les choses deviennent sérieuses dans la voiture de ce dernier. Mais Eve est effrayée lorsqu’un deuxième homme (Ciaran O’Brien), plutôt simple d’esprit, les interrompt, se met au volant et taille la route. Bientôt, la conversation de l’apollon se fait grivoise et menaçante.

 
Hunted de Vincent Paronnaud

Eve comprend trop tard qu’un piège vient de se refermer sur elle : elle vient d’être kidnappée par deux tueurs en série dont le passe-temps favori consiste à humilier, torturer et violer des femmes, tout en filmant leurs méfaits. Bâillonnée et menottée dans le coffre de la voiture, elle ne doit son salut qu’à un sanglier kamikaze qui entre en collision avec le véhicule, lui permettant de fuir dans les bois. Avec les deux cinglés sanguinaires à ses trousses, pour survivre coûte que coûte, Eve doit puiser en elle une énergie inédite et libérer sa rage. La forêt va devenir pour elle un terrain propice à un renversement des rôles. Maintenant, sa survie ne lui suffit plus : ses bourreaux vont devenir ses proies. 

Animée par une colère et une frustration qui viennent de loin (la gent masculine en prend pour son grade), le petit chaperon rouge se transforme en vengeresse mutique dans cette critique de la misogynie en forme de survival. La mise en scène de Paronnaud (Persépolis, Villemolle 81, Poulet aux Prunes) est au diapason : Hunted (qui méritait bien mieux qu’une sortie anonyme en streaming sur Canal +) est un film très énervé, dont le montage énergique et syncopé nous plonge dans un voyage intérieur qui dépasse la frontière de la folie. 

Si le style est percutant, la structure en conte de fées n’en est pas moins pertinente. Sous le titre passe-partout de Hunted (un compromis commercial), se cache en fait « Cosmogonie », titre original rejeté, qui désigne un récit mythologique décrivant la formation et la remise en ordre du Monde par les dieux. Ainsi, le film débute par une séquence animée, un conte cruel, celui d’une jeune fille destinée au sacrifice par le prêtre Nicodème, un illuminé en quête du tombeau du Christ, pour permettre à ses ouailles affamées de survivre en la mangeant. Mais la jeune fille sait que la forêt protège les innocents. Elle fait donc une prière et la Nature lui envoie ses émissaires : des loups noirs qui lui sauvent la vie dans le sang. Comprenant que la compagnie des loups vaut mieux que celle des hommes, elle disparaît à jamais dans les bois. Eve, elle aussi, va devoir ne plus faire qu’une avec les éléments. Et pour délivrer sa punition divine, elle va devoir redoubler de violence par rapport à celle qu’on lui a infligée. 

Classique, d’une durée plutôt ramassée (1h27 seulement), mais très efficace (le suspense fonctionne, les scènes d’action impressionne), le récit évoque et rend hommage au mètre-étalon du film de traque en terrain hostile, le bien nommé La Traque (1975), de Serge Leroy, dans lequel des notaires (Marielle, Lonsdale et compagnie) poursuivaient une jeune anglaise dans une région marécageuse après l’avoir violée. En grand méchant loup uniquement motivé par sa haine des femmes, Arieh Worthalter se montre tour à tour très inquiétant, puis vraiment pathétique (sa prestation évoque celle de Kurt Russell dans Death Proof). Mais c’est Lucie Debay qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles à ce jour. Passées les premières 20 minutes, elle ne prononce pratiquement plus un mot et sa performance hallucinée (cheveux ébouriffés, grands yeux écarquillés) évoque autant les traumas des victimes de syndrome post-traumatique que les grandes héroïnes badass du cinéma d’action au féminin.

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