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Vivarium de Lorcan Finnegan

Publié le 23/07/2020 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Dans la maison vide… 

À la recherche de leur première maison en tant que couple, Gemma (Imogen Poots), une gentille institutrice, et Tom (Jesse Eisenberg), un jardinier sarcastique, effectuent une visite dans un lotissement de maisons identiques appelé « Yonder » (« Vauvert » en v.f.), en compagnie d'un mystérieux agent immobilier, Martin (Jonathan Aris), dont l’extrême politesse, accompagnée de tics nerveux, s’avère vite déstabilisante, annonciatrice d’une mauvaise blague. Alors qu’ils sont en train de discuter dans le jardin, Gemma et Tom se rendent compte que Martin a disparu, les laissant seuls dans cette horrible bicoque vert-pastel en préfabriqué, où le gazon est aussi artificiel que ces drôles de petits nuages de dessin animé suspendus à un ciel toujours réglé au beau fixe.

Ni une ni deux, Gemma et Tom montent dans leur voiture et tentent de quitter Vauvert… mais chaque route les ramène devant le n°9. Prisonnier d’un labyrinthe d’habitations identiques – toutes apparemment vides – le jeune couple panique. Aucune sortie en vue ! Et même l’entrée reste introuvable ! Leur voiture tombe en panne d’essence et quel que soit le chemin qu’ils prennent, même à pied, la destination est toujours la même : le n°9, qui sera désormais leur nouveau chez eux. Une tentative d’incendie volontaire ne fonctionne pas non plus. Les jours, les semaines, les mois passent. Epuisés mentalement, passant par un large spectre d’émotions différentes (désespoir, colère, tristesse, apitoiement, rire jaune), Gemma et Tom font néanmoins contre mauvaise fortune bon cœur, s’appuyant sur la force de leur amour, qu’ils croient indestructible. Mais un troisième larron va venir mettre un bémol à leur espoir et semer la zizanie dans le couple, au point de rendre leur cohabitation toxique. Chaque matin, un carton est mystérieusement déposé devant la maison, avec des vivres, jusqu’au jour où, dans le carton, Gemma trouve un bébé accompagné d’un message : « élevez cet enfant et vous serez libérés ». 

De ce postulat cocasse rappelant les grandes heures de la mythique Quatrième Dimension, l’irlandais Lorcan Finnegan tire une fable en huis clos pessimiste, plongeant dans l’enfer un couple qui n’a aucun moyen de découvrir ce qui lui arrive, encore moins pourquoi. Est-ce le hasard, la malchance qui les a amenés là ? Ont-ils été choisis pour être punis ? Quoi qu’il en soit, on ressent très vite leur douleur, coincés dans cet horrible monde artificiel, caricature en carton-pâte des maisons banlieusardes américaines qu’on a l’habitude de voir à la télévision dans des publicités pour la chicorée (et que Tim Burton avait déjà si bien mises en scène dans Edward aux Mains d’Argent). 

L’arrivée du mystérieux bébé va s’avérer être un cauchemar dans le cauchemar. Grandissant à une vitesse folle (il devient un petit garçon en quelques semaines à peine), la créature dévoile vite sa monstruosité. Pas un monstre de ceux que l’on rencontre dans les films d’horreur, non, plutôt une aberration : un garçonnet déplaisant en costume de comptable, qui parle avec une voix d’adulte distordue particulièrement malaisante, qui émet de longs cris stridents à heures fixes, dès qu’il a faim ou qu’il n’est pas content, et qui apprend en imitant et répétant les moindres gestes et paroles de ses « parents ». Grotesque et terriblement effrayante, cette créature 100% artificielle, apparemment indestructible, est la grande trouvaille qui donne au film toute son originalité. Détruire l’« enfant » est tentant, particulièrement pour Tom qui ne le supporte pas (Gemma, de son côté, fait tous les efforts possibles pour tenter d’être maternelle), mais la créature semble être la seule à pouvoir leur fournir des explications sur leur sort et les aider à prendre la poudre d’escampette. En effet, lorsqu’il ne passe pas son temps à hurler, le « fiston » reste assis à fixer l’écran de télévision, qui diffuse de drôles d’ondes dans un langage composé de signes complètement inconnus. Communiquerait-il avec « l’extérieur » ? 

Si Lorcan Finnegan n’évite pas un ventre mou en milieu de film (les séquences dans lesquelles Tom creuse un trou immense dans le jardin nous paraissent aussi répétitives que les journées du couple dans leur nouvelle maison), le réalisateur, qui signe ici une variation sur le thème de son premier film (Without Name, en 2016, dans lequel un quidam se retrouvait prisonnier d’une forêt sans fin), il signe une curiosité certes trop longue pour totalement convaincre, mais résolument originale, dans laquelle l’absurdité et l’humour noir d’un sketch des Monty Python se mêle à l’angoisse existentielle d’un récit de Kafka, sans oublier un climax (dont nous ne dévoilerons rien) qui convoque des visions inspirées de l’œuvre de Dali. 

Caricature féroce des rituels humains et de leur artificialité, critique acerbe de nos modes de consommation virant au ridicule, destruction en règle du concept de famille nucléaire, farce cruelle sur une humanité qui finit par s’entredévorer, Vivarium n’atteint pas les sommets de Brazil (de Terry Gilliam) ou de The Lobster (de Yorgos Lanthimos), auxquels on pourrait le comparer, faute d’argent (les images de synthèse – très convaincantes – utilisées pour créer l’univers artificiel ont englouti une grande partie du budget) et d’un script plus abouti. On risque néanmoins de frissonner longtemps en souvenir du calvaire vécu par Imogen Poots (toujours exceptionnelle, même lorsqu’elle laisse son glamour au vestiaire) et Jesse Eisenberg (plus sobre qu’à l’accoutumée, son personnage étant très vite à bout de forces) et de la plaisanterie cosmique à laquelle des forces mystérieuses les soumettent. 

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