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L'Amateur d'Olivier Smolders

Publié le 01/12/1996 par Thierry Horguelin / Catégorie: Tournage

L'homme qui filmait les femmes

L'amateur est un monsieur d'apparence normale dont le seul plaisir consiste à filmer nues, dans son appartement, des femmes abordées dans la rue. Les choses en restent là, car la passion de cet homme tient plus de la collection que du fantasme sexuel.

L'Amateur d'Olivier Smolders

Pour Olivier Smolders dont c'est le huitième film, cet argument minimal était prétexte à refaire une série de portraits de femmes (un motif qu'il avait déjà traité mais sur lequel il souhaitait revenir), étant entendu qu'il ne s'agissait pas de présenter une galerie flatteuse de jeunes femmes plus ravissantes les unes que les autres, mais d'aller de la jeune fille à la femme âgée en parcourant l'éventail des physiques et des corpulences. A ce désir de cinéaste s'ajoutait une contrainte de production : un autre projet ayant de la difficulté à s'imposer, Smolders voulait rapidement mettre un film en chantier sans avoir à livrer de grand combat de production. De ces prémisses découlaient quelques options simples : ce serait un film de type expérimental à très petit budget, en noir et blanc et super-8 ou 16 gonflé, d'une durée d'un quart d'heure.

A l'arrivée pourtant, L'Amateur se présente comme un film de vingt-six minutes en 35 mm et Dolby Stéréo, où seules quelques séquences d'extérieur en super-8 gonflé rappellent la nature du projet original. Que s'est-il passé? En premier lieu, Smolders s'est finalement retrouvé à la tête d'un budget un peu moins chiche que prévu au départ, et ce confort relatif (le film s'est quand même tourné dans des conditions d'économie stricte) a influé en retour sur la mise en oeuvre du projet. A l'issue du tournage, le cinéaste dispose d'un premier montage de trois quarts d'heure, très différent de ce qu'il imaginait quoique conforme à l'idée première d'un film expérimental "pur et dur", délibérément dépourvu de progression narrative, en accord avec le caractère répétitif du fantasme.
En montrant ce premier montage à quelques amis, Smolders constate néanmoins que l'absence de narration engendre une certaine insatisfaction chez les spectateurs. "Comme si, commente-t-il joliment, la mise à nu d'une femme n'était pas déjà toute une histoire..." Quoique profondément allergique au dogme narratif et à la psychologie, Smolders a voulu tenir compte de ces remarques en ramenant la durée du film à vingt-six minutes et en lui adjoignant une narration en voix off dont il achève actuellement la post-synchronisation.

Placé sous l'invocation de Bataille ("La mise à nu est une équivalence sans gravité de la mise à mort"), L'Amateur fera le récit d'une aventure mentale plus que d'une "histoire vécue". Une fois le cadre mis en place, le film s'évadera progressivement de la réalité pour se transformer en un fastueux cérémonial déployé dans un théâtre tout intérieur. Nul doute qu'on y retrouvera la fascination de l'auteur pour les rituels, son désir d'interroger les limites de la représentation, son souci d'une forme concertée à l'extrême mais néanmoins ouverte à ce qui le touche dans un visage ou un corps, cette part inassignable qu'on dit "documentaire" par commodité de langage, cette expression indéfinissable qui faisait dire à Aragon au cours des Enquêtes surréalistes sur la sexualité : "La femme qui me tenterait ne me tenterait ni pour ses yeux, cheveux, seins, taille, fesses, jambes, mais pour son expression, qui est absolument indescriptible."

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