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Le Fils de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Publié le 01/10/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Tout d'abord il y a une présence. Celle d'Olivier (exceptionnel Olivier Gourmet) sanglé dans un bleu de travail, les reins ceints d'une large ceinture de force en cuir brun usagé. Celle d'un corps massif, d'une nuque opaque, d'un souffle ininterrompu. La caméra des Dardenne l'accompagne, au plus près, dans ses gestes, ses regards furtifs, ce langage du corps qui petit à petit prend sens. Olivier enseigne la menuiserie, plus précisément les gestes du menuisier c'est-à-dire la taille, le poids, la découpe du bois, dans un centre de formation et de réinsertion pour délinquants. Rien n'est dit, tout est montré. Olivier ne donne pas seulement de son temps, de son énergie, c'est un exemple. Il est l'homme qui transmet, même à son insu, ce qui le fait vivre.

Le Fils de Luc et Jean-Pierre Dardenne

Les Dardenne nous installent dans un espace clos, un atelier de menuiserie dans lequel Olivier apprend le métier du bois à des adolescents. Il refuse d'en accepter un de plus, se ravise et l'intègre au groupe. Le regard posé par Olivier sur Francis (Morgan Marinne) est lourd, donne l'idée d'une filiation réelle ou fantasmatique. On apprend assez vite qu'il ne s'agit pas du fils réel ou adoptif d'Olivier mais du meurtrier de son fils. D'où le stress, l'angoisse qui parcourt Olivier au début du film. Rien de plus terrible que de vivre la mort d'un enfant, sur lequel on a investit et qui tel un fantôme s'évanouit. C'est une épreuve dont l'effet s'inscrit dans le corps, la vie du survivant. Comment supporter l'absence, la disparition, comment éviter de s'effondrer. Olivier a choisi de transmettre son métier pour vivre plutôt que de survivre.

 

Francis seize ans, après des années d'enfermement, se trouve face au père de sa victime. Cette attraction répulsion de l'autre se noue à travers un duel qui aura lieu par deux fois entre deux êtres que tout sépare mais qui ne cessent de se côtoyer, de circuler ensemble comme prisonnier d'une géométrie circulaire. Le premier affrontement a lieu lors d'une séance de baby foot. Des balles qui circulent d'un coté à l'autre, le bruit violent de la balle entrant dans le goal. Le second sur un parking lorsqu'ils mesurent l'espace, à un centimètre près qui les séparent. Olivier dit : 4,11 mètres. Francis vérifie à l'aide de son mètre de menuisier.

 

"C'est lui ?" demande à Olivier son ex-femme qui, d'indignation, en pique une crise de nerf lorsque Olivier lui répond affirmativement. "Calme-toi", lui dit-il en l'étreignant. "Pourquoi fais-tu ça ?" "Je ne sais pas" répond Olivier. Les personnages des Frères Dardenne sont complexes et riches de potentialité que ce soit dans La Promesse Rosetta, une part d'eux-mêmes reste inconsciente, effleurée plutôt qu'expliquée. Les Dardenne, cinéastes humanistes (dans le sens où il s'agit de faire exister la part d'humanité de l'autre) fuient les stéréotypes, les clichés en tout genre. Sur le fil du rasoir du regard de documentaristes dans la fiction ils explorent le cinéma et lui offre un style de plus. C'est ça le cinéma voir et éprouver le monde dans toute son opacité, aussi bien dans sa lumière que dans son obscurité, si l'on ose dire.

 

On n'insistera jamais assez sur la sobriété (loin du spectaculaire des images consensuelles et clichées dont le quotidien nous abreuve) de la mise en scène de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Les gestes justes des personnages qui incarnent leur personnage plutôt qu'ils ne le joue. Sans doute est-ce pour cela qu'un film des Dardenne ne s'oublie pas.

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