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Rencontre avec la comédienne belge Elsa Houben, l’une des 'Jeunes mères' des Dardenne

Publié le 02/06/2025 par Jean-Philippe Thiriart et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Elle est tout juste de retour du Festival de Cannes, où les réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne viennent de remporter le Prix du scénario pour leur nouveau film, Jeunes mères. Et c’est à elle qu’ils ont choisi de confier le rôle de Julie, l’une des jeunes mamans adolescentes de leur récit. Son nom ? Elsa Houben. Nous sommes partis à sa rencontre.

Cinergie : Vous, qui êtes la seule actrice professionnelle à interpréter une des cinq jeunes mères du film, vous expliquiez, pendant Cannes, sur le plateau de l’émission « C à vous », que les Dardenne vous avaient téléphoné pour vous proposer un rôle dans leur nouveau film. Sans passer par l'étape « casting » alors ?

Elsa Houben : Je suis passée par l'étape « casting », bien sûr, mais c'était un petit peu différent, dans la mesure où je n'ai pas dû faire une vidéo de présentation, vu qu'ils me connaissaient déjà. Mais après, il y a eu un casting, comme pour tout le monde, où j’ai fait plusieurs scènes. Et de là, ils m’ont dit que j’allais sans doute interpréter le personnage de Julie, vu qu'elle est plus âgée. Et voilà !

 

C. : C'est un très beau personnage. Elle est très solaire…

E.H. : Oui, je pense qu’elle apporte un beau souffle au film.

 

C. : Comment présenteriez-vous votre personnage ?

E.H. : Julie, c'est une ancienne toxicomane, mère d'un bébé de quatre à six mois, selon le moment du film où on se trouve. On la suit dans son parcours de réinsertion dans la vie active. Elle est avec son copain, ça se passe bien. C’est un autre schéma de famille que vit ce personnage.

 

C. : Les frères vous ont-ils dit des choses très précises sur votre personnage ? Ou avez-vous dû vous approprier ce rôle par vous-même ?

E.H. : Ils ont une idée en tête, mais ils ne nous l’imposent pas trop, pour voir ce qu'on propose. En tout cas, c’est comme cela que ça s’est déroulé pour moi. Mais, on a vraiment discuté ensemble du personnage et surtout de son « background », pour savoir vraiment d'où elle vient. Les répétitions ont permis de voir si des mots présents dans le scénario nous dérangeaient, s’il y avait des mouvements qu'on ne trouvait pas naturels… On les a modifiés pendant les répétitions pour que, au tournage, ce soit tip top et qu’on puisse enchaîner.

 

C. : Qu’est-ce qui vous a convaincue de monter à bord du bateau Jeunes mères?

E.H. : Les frères Dardenne ! On sent leur approche dès le casting, leur méthodologi

 

C. : Vous connaissiez leur cinéma ?

E.H. : Oui, quand même un petit peu ! (rires)

 

C. : Y a-t-il un de leurs films qui vous a particulièrement marquée ?

E.H : Je pense à Rosetta, avec Emilie Dequenne. C'est assez facile de s'identifier à elle.

 

C. : Votre montée des marches a eu lieu 26 ans après la sienne, jour pour jour, à la même heure, avec Rosetta…

E.H. : Oui, c'était assez émouvant.

 

C. : Les frères ont rendu un bel hommage à Emilie, ainsi qu'à vous cinq, leurs jeunes mères, en vous mettant en avant tout au long de votre présence à Cannes. Lorsqu'ils ont reçu le Prix du scénario et lors de la projection, notamment. Qu'est-ce que cela évoque chez vous ?

E.H. : C'est émouvant qu'ils portent l’attention sur nous et pas sur eux. Ils sont un peu en mode « nous, c'est bon, on n’en a plus besoin ». Le fait qu’ils mettent toujours en lumière leurs comédiennes, c'est assez flatteur.

 

C. : Comment présenteriez-vous les réalisateurs ? On les sait très complémentaires. Est-ce que chacun assume plusieurs rôles bien définis au sein du duo ?

E.H. : Luc, pendant les répétitions, va plus parler du jeu. Jean-Pierre va être plus sur la technique. Souvent, il venait et faisait juste un petit signe pour dire de baisser quelque peu le jeu. (rires) Par exemple, pendant les répétitions, c'est lui qui filme. Ils sont donc en général vraiment très complémentaires sur chacune des scènes.

 

C. : Dans Jeunes mères, vous avez bien souvent pour partenaire à l’écran un bébé. Quelle préparation avez-vous effectuée pour vous habituer à eux - il y avait plusieurs bébés pour chaque maman, pour chaque actrice - et pour parvenir, avec autant de brio, à incarner votre personnage avec un maximum de lâcher-prise ?

E.H. : Il y a eu beaucoup de coachings. On a pu bénéficier de coachings bébés au sein de la maison maternelle avec les éducatrices de celle-ci. C’était donc assez facile de se mettre dans le lieu. On voyait aussi les jeunes mères qui étaient présentes là-bas. Il y a eu beaucoup de discussions. On a travaillé la position des bébés : comment les porter et les déposer. On a répété toutes les scènes, tous les mouvements qu'on devait faire avec les bébés. J'étais assez à l'aise parce que j'ai deux nièces, que j’ai gardées quand elles étaient bébés. Donc je savais déjà un peu comment les porter.

 

C. : Les réalisateurs souhaitaient ardemment que « les bébés apparaissent comme des petites personnes, pas des images de bébés », pour reprendre leurs mots. Par quoi cela passe-t-il, en matière de jeu ?

E.H. : Il s’agissait vraiment de jouer avec ces bébés. Ça se faisait très naturellement parce que quand tu as un bébé dans les bras, tu es obligé de réagir à la façon dont il bouge. Tu dois bien le tenir. S’il pleure, tu dois le consoler, par exemple. Je pense que ça a ajouté beaucoup de naturel aux scènes. Il n'y avait pas vraiment besoin de dire quelque chose de particulier car ça se faisait très facilement.

 

C. : On vous voit dans le film sur une mobylette. La fameuse mobylette « dardennienne » ?

E.H. : C'était très drôle à faire ! Ça a quand même nécessité une bonne journée de tournage, juste pour la technique. La caméra nous suivait en quad, en fait, à côté de nous. Et c'était une question de vitesse, aussi, de texte à tel ou tel moment. C'était très chouette. Et Jef Jacobs, qui joue Dylan, a fait beaucoup de conduite pour être sûr que ça se passe bien.

 

C. : Aux côtés de votre personnage de Julie, il y a notamment sa petite fille, Mia, et Dylan, interprété par James Jacobs, que vous venez de mentionner. Comment se sont passées les scènes que vous avez partagées avec lui ?

E.H. : Il y a eu beaucoup de préparation. On s'est beaucoup parlé, notamment pour tout ce qui est de l’ordre du consentement. Dans le film, on s'embrasse, on se prend dans les bras… Il s’agissait donc de savoir, avec précision, ce qui nous dérangeait ou pas. Mais ça s'est très bien passé : on s'est respecté, l'un l'autre, et je pense que l’alchimie se voit à l'écran. Donc on a fait notre taf. (rires)

 

C. : J'aimerais revenir avec vous sur l'expérience cannoise. La montée des marches, ce n’était pas une première pour vous. En revanche, c’est la première fois que vous veniez présenter un film au Festival, vêtue d'une magnifique robe blanche ornée de fleurs.

E.H. : J'y étais allée avec Wallonie Bruxelles Images qui, en partenariat avec Mastercard, proposait à quatre comédiens belges de vivre une expérience cannoise. C'était super ! Cette fois-ci, avec Jeunes mères, c'était un peu différent étant donné qu'on était en compétition. Il y a eu beaucoup plus d'interviews et la participation à des événements importants. Et monter les marches… Que dire ? C'était quelque chose ! Un peu de stress au début et puis, pour finir, j'ai eu moins d'appréhension une fois devant les marches parce que c'est moins grand que cela en a l'air.

 

C. : Comment avez-vous vécu la projection ? Quelle a été la réaction des gens : est-ce qu'il y a eu des rires, des pleurs, quelque chose de palpable ?

E.H. : Oui : les pleurs à la fin de la projection, quand tout le monde se lève. C'est la première fois que tu as un avis du public. On s'est regardées. Une de nous a pleuré et puis on s’est toutes mises à pleurer. Voir tous ces gens debout, dans cette grande salle un peu mythique, ça fait quelque chose !

 

C. : Plus de huit minutes de standing ovation, c'était déjà un bon indice pour un prix éventuel, notamment. On connaît la suite : le film a remporté le Prix du scénario !

E.H. : On était très content d'avoir un prix pour ce film.

 

C. : C'est le dixième film des frères en compétition. C'est un peu un film anniversaire, pour eux…

E.H. : Je ne sais pas s'ils ont vraiment cette idée d'anniversaire. Ils n’en parlent pas, en tout cas. Mais ils sont toujours contents dès qu'un de leurs films est présent à Cannes et font en sorte que ce soit comme si c’était le premier.

 

C. : Est-ce qu'il y a un ou plusieurs réalisateurs et/ou réalisatrices avec lesquels vous rêveriez de tourner ?

E.H. : Je ne sais pas. J'essaie de ne pas trop me projeter dans l'avenir. J'essaie de ne pas trop y penser.

 

C. : Et des acteurs et/ou des actrices, peut-être ?

E.H. : Camille Cottin, si je dois vraiment choisir. Elle a l'air incroyable. J’ai le sentiment que c’est une grande dame donc je veux bien la rencontrer, en effet !

 

C. : Nous vous avions rencontré voici deux ans, aux côtés de votre ami Eric Godon. Vous nous aviez alors confié avoir un projet d'écriture à quatre mains. Où en est-il ?

E.H. : Il se trouve que monsieur travaille beaucoup… (rires)! Il est sur de nombreux tournages. On a un peu mis ce projet de côté. Actuellement, je suis sur l’écriture d’un long métrage, avec quelqu'un. Mais je ne vais pas en dire plus pour l'instant.

 

C. : Quel est votre premier souvenir de cinéma ?

E.H. : J'ai un souvenir en tête, qui remonte à longtemps déjà, sur le tournage de Mr. Nobody. Je me rappelle du moment auquel j’ai retrouvé ma mère dans les vestiaires. Nous étions plein d'enfants, dans une salle très blanche, avec des anges qui tombaient du ciel. Et je me rappelle être retournée près de ma maman lui crier qu'il y avait une licorne dans la salle. (rires)

 

C. : Quel film vous a poussée à travailler dans le cinéma ?

E.H. : Il y a un film marquant : ma mère qui me montre Léon de Besson. Et le fait de voir Natalie Portman - j'avais plus ou moins le même âge à ce moment-là -, ça m'a marquée et je me suis dit : « ah oui, donc, à son âge, on peut vraiment faire du cinéma ! » À partir de là, je me suis un peu plus informée et, au fur et à mesure des tournages, l'envie est montée.

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