Pourquoi filmer ? Pourquoi accumuler des images ? Pourquoi vouloir une image parfaite ? Pourquoi étudier l’image pour faire une image parfaite ? En fait, une image parfaite, ça existe ? Pourquoi filmer la nature ? Pourquoi enfermer des tonnes d’images ? Si on n’est pas regardé, est-ce que l’on existe ? Dans le film We had fun yesterday, sélectionné au festival En ville du 23/01 au 1/02/2025, la réalisatrice Marion Guillard questionne l’image, sa matérialité et son but, son existence et sa finitude.
We had fun yesterday de Marion Guillard - En Ville!

La réalisatrice a accumulé des tonnes d’images, elle parle de boulimie d’images comme une boulimie qui donne envie de chocolat et de nuggets. Enregistrer, stocker sur des disques durs comme la graisse qui enrobe durablement. Depuis ce voyage dans les grands parcs américains il y a 15 ans avec sa mère malade et ses sœurs, Marion Guillard entasse les canyons, les ciels, la faune, la flore sur des disques durs. Comme ça, pêle-mêle. Elle a déjà pensé effacer tout, comme tirer un trait sur une vie sans retour en arrière possible.
Dans We had fun yesterday, elle replonge dans cette matière dense, animalière et familiale pour construire sa réflexion autour de son rapport à l’image. Une image amie/ennemie, un refuge, une cabane d’images et de souvenirs qui réconfortent. Alors qu’elle a étudié scolairement l’image, elle jongle ici avec des images sauvages et brutes, prises çà et là, parfois maladroites parfois accidentelles. Et c’est quand vient l’accident que quelque chose se produit, quand on essaie de ne plus tout contrôler qu’apparaît la beauté. Et si c’était pareil avec notre propre image, notre propre corps ? Et si on lâchait prise, si on ne vivait pas dans la peur d’être regardé, serions-nous plus libres ?
À côté de réflexions très larges autour de l’image, le film plonge dans une intimité très profonde. Les images de pigeons, les images de la mer, les couleurs du ciel et du soleil sont autant de prétextes pour parler d’une mère malade, d’une boulimie sévère, d’un gros cul, d’une sexualité, d’un père qui ne comprend pas.
« C’est trop beau » « On dirait que c’est du faux, ça » « Merveilles de la nature ». Des phrases qui résonnent avec des paysages, mais aussi avec des corps de femmes. C’est quoi de belles images ? C’est quoi de belles femmes ? Faut-il les travailler/maquiller à l’excès pour les rendre belles ? We had fun yesterday est une ode à la vérité, un film sans filtre sincère qui met à nu une femme, la réalisatrice, mais aussi ses images «au naturel », un film qui parle d’existence et de disparition, un film qui parle de sublime et de laideur, un film qui parle de liberté et de vols d’aigrettes.