Cinéma russe (suite)
Dans une précédente fournée nous avions grâce à l'inusable Serge Bromberg (lobster) eu l'occasion de découvrir quatre films russes (notamment Le Bonheur d'Alexandre Medvekine – version française sonorisée par Chris Marker). La grandeur du cinéma soviétique n'est pas seulement qu'il n'y a pas de champ/contre-champ contrairement au cinéma étasunien, c'est aussi d'avoir été pendant un quart de siècle hors de l'industrie et du commerce soumis aux lois du profit et de la rentabilité. Cela va lui permettre de montrer au monde entier de quoi sont capables des artistes oeuvrant en totale créativité, expérimentant en dix ans ce que d'autres mettront cinquante ans à essayer. Deux structures se développent dans ces années de feu. La FEKS(la fabrique de l'acteur excentrique en 1922) de Kozintsev et Trauberg qui cherchent à une développer une schématisation a-théâtrale et a-littéraire, avec un montage insolite du film. Et, ensuite les positions de Dziga Vertov, qui, lui aussi tout en accordant une primeur au montage, rejetait le « cinéma d'art » en lui opposant la chronique filmée, le ciné-oeil (kino-Glatz), opposée au théories avants-gardistes de Koulechov. Pendant 15 ans, cela carbure ferme en URSS que ce soit au niveau du gros plan, du ralenti ou du film sonore.
1925 sera la grande année du triomphe des idées d'exaltation poétique, prônée par Maïakovski avec le lyrique Cuirassé Potemkine de Sergueï Mikhaïlovitch Eisenstein (l'insertion d'un gros plan agrandi et non des plans rapprochés, avec raccord dans l'axe, comme chez Griffith). Ce diapason créatif développé par Poudovkine, Dovjenko, Vertov va s'écrouler dix ans plus tard, au milieu des années 1930, renversé et éliminé par le bonapartisme stalinien tarissant la création au profit de ce que l'on connaît désormais sous le terme de « réalisme socialiste ». L'âge d'or est terminé, l'heure du héros positif a sonné. Aux larmes citoyens!Nous avons pu découvrir récemment –outre La jeune fille au carton à chapeau de Boris Barnet (chez Bach films) – Le Bonheur et Ménage à trois d'Abraham Room. EM-Lobster nous présente Tempête sur l'Asie de Vsevolod Poudovkine. En adaptant La Mère, (d'après un livre de Maxime Gorki) Poudovkine révolutionne le cinéma un an après Potemkine. Il s'écarte des concepts défendus par Eisenstein et par l'avant-garde de Kolechov (mise en scène plutôt que scénario) pour une conception plus classique du récit (retour à Griffith).
Léon Moussignac dira : « Eisenstein est un cri, Poudovkine est un chant ». La thématique abordée dans La mère (chronique d'une prise de conscience) nous la retrouvons dans la suite de sa trilogie.
La fin de Saint-Petersbourg, suit un paysan devenu ouvrier, soldat pendant la guerre de 1914-1918, qui revient en 1917 à un Sain-Petersbourg qui va se transformer en Leningrad. Tempête sur l'Asie, tourné en Mongolie, en décor naturel est une grande fresque historique qui suit l'itinéraire de Baïr, vendeur de fourrures nomade après la révolution d'Octobre.
L'intelligence du cinéma de Poudovkine se découvre dans sa structuration organique de l'unité-diversité, autrement dit dans son attachement à la dialectique : la relation du tout, de l'ensemble et des parties (de la Nature, du groupe social, des personnages). Mais aussi son goût pour les changements d'axe plutôt que l'habituel champ/contrechamp ou son jeu incessant pour les plans à différentes distances (plans larges et très gros plans) ou encore la succession rapide de plans accompagnés d'une musique jouant crescendo-décrescendo(Poudovkine propose ensuite, sans succès, la discordance entre son et image dans Un simple incident mais aussi des trouvailles sur l'optique par rapport à la représentation du temps – dans les archives de Mosfilms?)
Enfin inconnu au bataillon, Le village du péché d'Olga Preobrazhenskaya,. Ivan que l'on croyait mort pendant la guerre de 1914 reparait dans son village et découvre que sa femme à un enfant de son père. Inattendu, redécouvert récemment dans les archives de Mosfilms (surimpressions stylistiques de l'époque et pellicule orthochromatique – lèvres noires).
La Fin de Saint-Petersbourg, Tempête sur l'Asie de Vsevolod Poudovkine, Le village du péché d'Olga Preobrazhenskaya, Editions Montparnasse, diffusion Twin Pics