Close-up est l'un des grands films, avec Où est la maison de mon ami ?, d'Abbas Kiarostami, n'en déplaise à certains.1 Il nous fait véritablement découvrir le monde du réalisateur iranien. Jusqu'à présent, nous n'avions, hormis notre souvenir en salles il y a plus de quinze ans, qu'une copie DVD sous-titrée en anglais, venue de Téhéran grâce à un étudiant. La copie des éditions Montparnasse sous-titrée en français est excellente, et son accompagnement offre des pistes sur les personnages et les décors naturels d'Abbas Kiarostami.
Close-up de Abbas Kiarostami
« Close-up, souligne Alain Bergala, est le film qui a permis de prendre la mesure de la véritable complexité et richesse du cinéaste. Ce film, tourné dans l'urgence, se présentait comme un documentaire, quasiment un reportage au jour le jour, mais était aussi une vertigineuse construction mentale, plus proche de F. For Fake (Vérités et mensonge, 1971), d'Orson Welles que de Rossellini. » 2
Ce que nous raconte le génial Close-up n'est autre que la réalité qui mène à la fiction. Dans ce jeu de miroir vertigineux, Kiarostami nous montre un homme qui joue avec le leurre du cinéma pour assouvir une mythomanie qui est le ressort du désir de tout spectateur
Ali Sabzian abuse une famille bourgeoise chez qui il s'installe en se faisant passer pour Moshen Makhmalbaf, célèbre cinéaste. Kiarostami filme son procès pour escroquerie (d'une valeur plus symbolique que matérielle) et sa reconstitution. Ali Sabzian est lui-même (pendant le procès) tout en jouant son personnage (lors des reconstitutions). Ali Sabzian interprète Makhmalbaf qui, lui-même, apparaît à la fin du film pour jouer son propre rôle (il va, qui plus est, engager Ali Sabzian dans un de ses films afin de lui permettre d'assouvir sa passion du cinéma). Ce que reproche le tribunal à Ali Sabzian, le faux Makhmalbaf, c'est de fictionnaliser la réalité, ce que n'arrête pas de faire Kiarostami qui, en filmant imperturbablement la scène, rappelle qu'on peut se servir de leurres pour dire la vérité, plaide pour le droit à la fiction, le droit de faire du cinéma.
Close-up est un film « sur des personnes qui ne sont jamais à leur place » et rêvent sans arrêt d'être quelqu'un d'autre. Le film se présente donc comme la rencontre d'un cinéphile qui voudrait devenir cinéaste et d'un cinéaste (second) qui voudrait se faire passer pour un simple spectateur.3
Film hallucinant, donc, puisque trois réalisateurs changent de casquettes. Sabzian veut le devenir, Makhmalbaf se pose des questions pour continuer son métier, et Kiarostami aimerait se dissoudre dans l'écran, parmi les spectateurs, en filmant, sans diriger, le cadre de la caméra (ce qu'il fera avec Ten).
« C'est le seul film que je puisse regarder avec le public sans avoir le sentiment de l'avoir moi-même réalisé, sans l'angoisse que quelqu'un sorte et ne l'aime pas. La raison en est que ce film, avant même que je puisse le tourner, c'est fait tout seul. Je suis plus son spectateur que son réalisateur », confie t-il dans Abbas Kiarostami, vérité et songes, le beau film réalisé par J.P. Limosin pour Cinéma de notre temps, la collection de Jeanine Bazin et André S.Labarthe. Cinquante minutes éblouissantes, qui nous conduisent avec Kiarostami au volant d'une voiture, sur les routes, vers les lieux filmés. Il nous explique comment il travaille avec des acteurs non professionnels (en les rendant heureux ou malheureux la veille du tournage, voire en déchirant une photo dans un des superbes plans où Nematzadeh, en classe, à côté de son copain, pleure dans Où est la maison de mon ami ?)
Enfin, signalons le court métrage de Nanni Moretti. Le jour de la première de Close-up dans sa salle de cinéma, Sacher Films Nuovo, Le Roi Lion cartonne dans toutes les autres salles italiennes. Petit film drôle, avec doublé amusant, puisque si Makhmalbaf est un spécialiste du déplacement à moto dans Téhéran (c'est la fin de Close-up, mais aussi de ses premiers films) Nanni Moretti parcours Rome à moto (Caro Diaro - Journal Intime).
Seul petit regret, pour les fans que nous sommes, l'absence de la version précédente qui démarrait sur la rencontre, dans le bus, entre Sabzian et Madame Ahankhah. Plus chronologique donc.3
(1) Close-up « fait partie de la période morbide de Kiarostami », écrit-on bizarrement dans le numéro de janvier 2010 (652) des Cahiers du Cinéma. Etrange, vous avez dit étrange ? Comme c'est bizarre. Plus encore, le texte sur la sortie en salles de Shirin du même Kiarostami par rapport au bel article de Youssef Ishapgour, Shirin, L'âme de l'Iran, paru dans Trafic70).
Dans l'autre sens, ce numéro offre un beau texte de Bergala sur Double noir de Pedro Costa, et une solide défense (très étonnant dans les CdC) de Wes Anderson par le nouveau réalisateur chouchou du jeune cinéma portugais, Miguel Gomez.
(2) Alain Bergala, Abbas Kiarostami, éditions Cahiers du Cinéma.
(3) Stéphane Goudet, in Abbas Kiarostami, Le cinéma à l'épreuve aux éditions Yellow Now, coll. Côté cinéma.
Close-up, Abbas Kiarostami, Film + boni, éditions Montparnasse, distribution Twin Pics.