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DVDphiles : M. Le Maudit - La Règle du jeu - Elephant - Ten

Publié le 01/07/2004 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Nous avons sélectionné ces 4 films en raison de leur importance mais aussi et surtout des analyses qui accompagnent les films dans de multiples suppléments ce qui permet au spectateur de prolonger la lecture du film, d'en découvrir les multiples sens, le dispositif et l'esthétique. Pour Ten nous ne résistons pas à vous renvoyer à un texte d'Abbas Kiarostami particulièrement savoureux publié dans Trafic n°50. (Ten et 10 on ten sont projetés en ce mois de juillet 2004 au Studio 5 du Flagey).

 

Pour Elephant, il faut y ajouter un dossier pédagogique réalisé par Michel Condé pour le Centre Culturel Les Grignoux & le CTL-Liège. Un dossier qui s'adresse aux enseignants et pour, être plus efficace, doit se discuter avant la projection du film (on y trouve le point de vue de Gus Van Sant, quatre interprétations possibles, etc.)
Contacter : contact@grignoux.be ou le site : http://www.grignoux.be/

DVDphiles : M. Le Maudit - La Règle du jeu - Elephant - Ten

 M. le Maudit

 

Le plus célèbre film de Fritz Lang avec Métropolis qui marque, en tout cas, un tournant décisif dans son œuvre puisqu'il y aborde le parlant. Un film d'une modernité qui laisse pantois le spectateur du troisième millénaire. M. le Maudit décrit la traque d'un assassin psychopathe par deux systèmes que tout oppose mais qui s'unissent à cette occasion : la force publique et le crime organisé. Dans la ville de Berlin où l'opinion publique, secouée par la succession de meurtres d'enfants du "serial killer" est prise de panique, où la psychose gagne l'ensemble de la société. M. ajoute une fillette, Elsie, à son palmarès (fidèle à son peu de goût pour le sensationnel il se garde bien de nous montrer le meurtre). En montage alterné nous voyons les méthodes scientifiques d'investigation policière et l'action des truands qui décident d'agir en cherchant eux-mêmes le criminel : se saisissant de lui, la pègre lui intente un procès. M. ne doit son salut qu'a l'arrivée de la police.

 

Organisé en 9 parties le récit comprend 27 unités séquentielles et est d'une rigueur peu commune dans la mise en scène ce que soulignent Radha-Rajen Jaganathen et Jean Douchet dans le bonus du DVD en analysant le film image par image. Le film commence dans le noir. La comptine annonce le film. Elle est l'illustration sonore d'une ronde d'enfants. Le thème de l'innocence est lancé et nous place au cœur du film : toute une société va se liguer pour éliminer un être nuisible et l'empêcher d'exister. Lang nous dit, nous sommes coupables d'être innocents et innocents d'être coupables.
D'autres suppléments complètent le bonus. D'abord un documentaire de Jorge Dana sur le parcours du cinéaste dans l'Allemagne de Weimar. Tout cela à partir de photos ou d'extraits de films. Ensuite une conversation passionnante entre Noël Simsolo et Alfred Eibel sur le film. Extraits : " Ce qui est caché est important. Ce qui est montré et caché est capital " ou " Le seul témoin oculaire, chez Lang, est un aveugle, son infirmité lui permettant paradoxalement de démasquer M. ou encore " M. ne commence à exister que lorsqu'il s'explique à la fin du film devant le tribunal des truands " voire " c'est une mise en abyme du double "

M. le maudit, DVD, éditions Opening, Distribution GCTHV.

 

La règle du jeu

"Jean Renoir ne filme pas de situations mais des personnages ", écrivait François Truffaut. En effet, il n'y a pas de personnage principal dans le film mais quatre qui ont une importance égale : Christine, Jurieu, Octave et Robert. Le récit est basé sur une série de quiproquos amoureux qui ne sont pas sans évoquer le théâtre de Musset ou de Marivaux dont Renoir s'est inspiré. Jurieu, un aviateur qui vient de réaliser l'exploit de traverser l'atlantique en 23 heures (nous sommes à la fin des années 30) est secrètement amoureux de Christine, l'épouse de Robert de La Chesnaye et déçu de son absence lors de son arrivée à l'aéroport du Bourget se permet de manifester son amertume sur les ondes. Sur la route de Paris, il tente de se suicider, en voiture. Octave, son meilleur ami décide d'intercéder en sa faveur auprès de Christine. Il parvient à inviter Jurieu à une partie de chasse organisée par Robert dans sa propriété de Sologne. Octave, généreux et naïf, déclenche un mécanisme qui lui échappe. Un tourbillon d'intrigues se déclenche. L'imbroglio s'amplifie d'autant que tout ce petit monde n'a qu'un seul souci sauver les apparences quitte à jouer les autruches. Ainsi en est-il de la scène finale où le marquis de La Chesnaye escamote l'assassinat de Jurieu en "regrettable accident." La règle du jeu est une leçon de cinéma. "Mon ambition en commençant ce film était d'illustrer ce mot historique ; "nous dansons sur un volcan"
Le film est analysé et commenté dans les bonus, image par image par Jean Douchet. Extrait : La règle du jeu débute comme une comédie, le film s'achève en tragédie. Passant de l'un à l'autre dans un subtil mouvement de déséquilibre, Renoir en tire la dynamique même de son film, d'une construction rigoureuse et sans faille. Chaque bobine constitue une étape de l'intrigue. Un fondu au noir souligne le passage de l'une à l'autre.

La règle du jeu, Jean Renoir, éd. Montparnasse, master numérique restauré (son et image).

 

Elephant

Le film nous fait découvrir les mille et une facettes d'un lycée de banlieue américain. Par de longs travellings fluides la caméra parcourt les couloirs, la cour, la bibliothèque, les vestiaires ou le secrétariat. Nous suivons ainsi le parcours de quelques lycéens, avant la tuerie : John (le blondinet au père alcoolique), Elias (le photographe), Nate (joueur de foot américain et Carrie (son amie). Le film se garde bien d'offrir la moindre explication à la tuerie laissant au spectateur le soin de déceler l'inexplicable. Gus Van Sant, utilise une structure en boucle pour nous montrer comment les divers protagonistes ont vécu les heures qui ont précédé le drame. Les jeunes meurtriers ne sont pas réductibles à une quelconque idéologie d'extrême droite. On les voit s'esclaffer devant le spectacle audiovisuel d'une mise en scène nazie : " C'est quoi ces dingues ? " Ce film sur la violence se garde bien de nous la montrer, elle reste, le plus souvent hors champ.Non seulement Gus Van Sant a une morale du regard mais utilise son dispositif pour faire sauter les stéréotypes qui structurent la plupart des films contemporains. Elephant est d'une modernité radicale. Le film se soustrait à la dramaturgie et aux codes du théâtre auquel le cinéma industriel continue à se référer. Le Bonus nous offre un long entretien avec le réalisateur, réalisée à Portland (Oregon) ou en finale, celui-ci nous dit, avec les réserves d'usage, que Michaël Moore (Bowling Columbine) n'a peut-être pas tort de croire que les adolescents ayant perdu le sens du futur (le collège ne cesse de leur marteler qu'un échec scolaire ferait d'eux des ratés à vie) décident de se suicider sur un mode " fun ". Une métaphore du no future ? Le titre d'Elephant vient d'un moyen-métrage qu'Alan Clarke a réalisé pour la BBC. Qui traite de la violence en Irlande du Nord. Le film de 52' vous est offert dans les bonus ainsi que " Les clefs du film ", un livret de 15 pages illustrées, qui livre une foule d'informations tant sur le film que sur son réalisateur.
Rappelons que l'asbl les Grignoux a consacré un dossier pédagogique au film.

Elephant, de Gus Van Sant, Cinéart, distribution Boomerang, 81', 16/9, compatible en 4/3, Dolby digital.

 

Ten

Ten est le premier grand film d'auteur tourné en numérique (DV-Cam). Plus qu'une mutation c'est une révolution. Une caméra fixe dans un espace en mouvement. 10 séquences dans un seul décor : l'habitacle d'une voiture. La position de la caméra est tantôt sur le visage du passager, tantôt sur celui de la conductrice. La voiture embarque 10 passagers successifs, dans les rues de Téhéran, dont trois fois le fils de la conductrice, un gamin qui est son interlocuteur et contradicteur privilégié. La mire numérotée, de 1 à 10, précède chaque séquence. Le naturel et la subtilité des conversations des acteurs (certains étant des amateurs) sont d'autant plus confondants que rien n'est expliqué.
Kiarostami, en donnant à voir les fragments d'un parcours joue sur le visible et le caché, l'audible et l'inaudible, le champ et le hors-champ, suggère au lieu de montrer invitant ainsi le spectateur à la réflexion. Celui-ci est invité à se demander quelle est la part du récit, de la réalité d'autant plus que le dispositif de la mise en scène est clairement affiché.
Ten on ten, le second disque du DVD et son bonus, est un film qui ressemble à une leçon de cinéma dans laquelle Abbas Kiarostami se livre à l'analyse de son travail. Epinglons le chapitre caméra. La DV-Cam permet au réalisateur d'obtenir plus de fluidité, de se débarrasser des artifices, des clichés, de se passer du clap qui souvent enlève au jeu, son naturel et offre des performances permettant de se passer de capitaux importants. L'artiste dispose enfin d'une caméra stylo. De même la relation spectateur/réalisateur est différente dans le cinéma Hollywoodien ou la technique l'emporte souvent sur le sujet du film. Enfin, on peut tourner avec un script minimum. Kiarostami avoue que lorsqu'il écrit un scénario plus détaillé, le temps de le produire et d'obtenir les autorisations nécessaires, le désir de filmer s'évanouit. Tandis qu'avec une caméra numérique l'auteur reprend les commandes. Suivent des considérations passionnantes sur le décor naturel, les repérages, le sujet, etc. Bref, incontournable à l'ère où le numérique se développe, pour les jeunes réalisateurs.

Ten, d'Abbas Kiarostami, un coffret de 2 disques, éd. Cinélibre, diffusion Boomerang