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DVDphiles : Middle East - Cinema du Moyen-Orient

Publié le 12/09/2007 par Katia Bayer et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
DVDphiles : Middle East - Cinema du Moyen-Orient

Habituellement, les coffrets de films mettent à l’honneur un· réalisateur·rice ou un·e acteur·rice. Pourtant, depuis quelques mois, une autre tendance se constate en observant les catalogues de DVD : les titres qui y sont rassemblés sont liés par une thématique commune. Dans la présente chronique, il s’agit du cinéma du Moyen-Orient. Cinéart propose en effet quatre films réalisés par des personnalités différentes par leur rapport au cinéma et au contexte géo-politique.Ecrit par Abbas Kiarostami et réalisé par Jafar Panahi, son ancien assistant, Sang et Or est le troisième film du cinéaste iranien. Les précédentes réalisations de Panahi ont été primées dans les plus grands festivals : Le ballon blanc (1995) a obtenu la Caméra d'Or au Festival de Cannes et Le Cercle (2000), le Lion d'Or, au Festival de Venise.

1. Sang et Or de Jafar Panahi

Le film démarre de façon surprenante dès la séquence d'ouverture qui est aussi le dénouement : le suicide d'Hussein lors d'un hold-up raté dans une bijouterie. Suite sur le scooter d'Ali (l'ami de Hussein qui doit épouser sa soeur) fuyant les lieux du drame. Hussein est un homme mutique, au physique imposant, une masse humaine, une sorte d'énorme bébé déjanté. Il gagne sa vie comme livreur de pizzas chez des habitants fortunés qui lui font découvrir des endroits inaccessibles.
Panahi, dans sa mise en scène, se sert de la circularité, d'un beau plan-séquence qui nous montre pourquoi la vie de Hussein bascule : les humiliations qu'il subit et la honte qu'elles engendrent.

Bonus

Un entretien avec Jafar Panahi par Jean-Michel Frodon et Farokh Gaffary : « En accompagnant Abbas Kiarostami, lors d'une inauguration de ses photos, celui-ci m'a parlé d'un fait-divers qu'il venait de lire dans le journal. Un jeune homme qui braque une bijouterie et se suicide pendant le hold-up. J'ai été impressionné et ai demandé à Kiarostami s'il avait envie de faire un film à partir de son récit. Il m'a dit qu'il aimerait en écrire le scénario. Il s’agit de l’histoire d’un homme qui suit une voie sans issue à cause de la pression sociale et des habitudes culturelles qu’il subit.

La personnalité de Hussein Ema Deddin (Hussein), l’homme et le personnage, a beaucoup apporté au film. C’est le sentiment de honte qui pousse Hussein sur la mauvaise pente, c’est l’humiliation qu’il subit. En somme, il tente, durant tout le film, de recouvrer sa fierté, de prouver sa dignité. »

 

2. Paradise Now de Hany Abu-Assad

Deux palestiniens décident de mettre fin à leur vie et à celles de leurs “ennemis” en commettant un attentat suicide à Tel-Aviv. Le réalisateur de Paradise Now, Hany Abu-Assad, a, par le biais d'une fiction controversée, cherché à dépasser le traitement généralement télévisé d'un tel sujet en s'intéressant à l'intime de Saïd (Kais Nashif) et de Khaled (Ali Suliman). Qui sont-ils ? Deux amis d'enfance (le premier, plutôt impulsif, l'autre, plutôt mélancolique) travaillant dans le même garage à Naplouse. Leur quotidien s'écoule entre le travail, les clients désagréables, la jolie étrangère Susha (Lubna Azabal), les visites de courtoisie à la famille. Des êtres ordinaires ? Oui, en apparence. Saïd et Khaled appartiennent en fait à une faction pour laquelle la mort en martyr a plus de valeur que la vie humaine sous l'occupation.

Le constat est établi : pour changer le cours des choses, ils doivent se sacrifier au nom de la cause et de l'honneur personnel. Le paradis est-il pour autant immédiat lorsqu'on souhaite quitter la vie avec, comme seul bagage, une ceinture d'explosifs autour de la taille ?

Paradise Now propose une lecture inattendue du terrorisme. Si ce mot, ainsi que ses origines et ses conséquences sont condamnés par Hany Abu-Assad, il livre un récit dans lequel l'acte détermine l'héroïsme, le doute n'a pas sa place dans l'endoctrinement, et le lien moral à la cause prévaut sur le lien sentimental. Un chef activiste précise d'ailleurs aux deux préposés au passage à l'acte : “Votre détermination est forte. Cet honneur n'est réservé qu'à une élite. Quand vous serez au paradis, nous nous occuperons de tout ici et commémorerons votre héroïsme. Vous êtes notre fierté”. Tout en leur recommandant d'essayer de viser le plus de soldats et de policiers... C'est tragique? Oui. Mais repérez donc la seule scène comique du film : l'enregistrement raté du testament vidéo de Saïd et Khaled. Le discours d'adieu n'a pas été enregistré, l'auditoire est plus attentif par la nourriture locale que par la solennité de l'instant et pour finir, la caméra tombe en panne... Ce n'est pas grave : “ils auront la chance de mieux prononcer leur testament !”.

Paradise Now se regarde comme un film engagé qui, selon les dires de son réalisateur, cherche à observer le phénomène à la loupe sans en cautionner sa violence indue.

 

3. La Fiancée syrienne de Eran Riklis

Mona a toujours vécu dans un village situé sur le plateau du Golan. Aujourd’hui, cette jeune femme, fiancée à un acteur de sitcom, a les yeux humides : en le rejoignant en Syrie, elle sait qu’elle ne reverra plus jamais sa famille car en adoptant la même nationalité que lui, elle ne pourra plus retourner en Israël. Quand ses proches l’accompagnent pour un ultime adieu à la frontière, l’efficacité de la bureaucratie s’active le long de la ligne de démarcation…

Récompensé, entre autres, en 2004 du Prix du public au Festival de Locarno et du Grand Prix au Festival de Montréal, La Fiancée syrienne est un film intense dont le scénario a été conçu et développé par Eran Riklis (réalisateur israélien) et Suha Arraf (journaliste palestinienne).

Entre gravité et humour, au centre de ce sujet traité à deux mains intelligentes, il y a de l’amour, de l’ouverture, du rêve et de l’espoir pour contrer les traditions archaïques et les replis communautaires.

Si ce film poursuit autant le spectateur, c’est peut-être à cause des regards témoins (celui égaré et affligé de Mona [Clara Khoury] et celui vital et déterminé d’Amal, sa sœur aînée [Hiam Abbas déjà remarquable et remarquée dans Free Zone d’Amos Gitaï], de sa bande-son voyageuse et des arrière-plans géographiques (donc politiques) qui font partie intégrante de l’intime des personnages. À moins que la popularité/postérité du titre ne provienne d’une des subtilités « physiques » du scénario : Marwan, un des frères, a un écart entre les dents, ce qui démontre bien sa sensualité et donc son manque d’intérêt pour une femme au singulier ! C’est curieux : dans le making of, certains membres de l’équipe, dont le directeur photo et le réalisateur lui-même, ont une denture espacée! Mabrouk ! – Mazel Tov !

 

4. Iron Island (La vie sur l'eau)  de Mohammad Rasoulof

Un vieux cargo abandonné au large des côtes iraniennes est squatté par une petite communauté venue du Sud de l’Iran. Elle s’y installe au fur et à mesure, et y constitue une sorte de petit village, l’arche de Noé du 21è siècle.

À bord, on y cultive des légumes, on y élève des chèvres, on y retrouve des ânes…. Noé, c'est le capitaine Nemat. Maître à bord, chef de l'épave, il gère "ses gens" en patriarche omnipotent. Il contrôle les contacts et les échanges avec le monde extérieur, tout comme l'organisation des relations dans la communauté; bénissant les unions et punissant les abus. Personne ne peut quitter l'épave vers la terre ferme sans son accord. Il ne les informe que de ce qu’il veut bien leur dire.  La communauté est isolée, loin de  tout, pas de télévision, journaux périmés.

Pour survivre et faire vivre son peuple, il vend des pans entiers du bateau en pièces détachées aux ferrailleurs. Le cargo menace de couler. Alors que certains pères de familles travaillent à l’extérieur pour subvenir aux besoins des leurs, de jeunes garçons essayent de séduire les filles sans se faire prendre : le cas échéant, la punition pourrait être terrible.

Ce deuxième long métrage de Mohammad Rasoulof s’inspire d’une pièce de théâtre écrite il y a 10 ans. On retrouve une image assez calamiteuse et navrante d’une société iranienne à la dérive et qui tente de survivre en vendant ses biens. La Vie sur l'eau fut d'ailleurs en compétition à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2005.