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Elles de Magdalena Szumowska

Publié le 09/07/2012 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
Elles de Magdalena Szumowska

Magdalena Szumowska, née à Cracovie, a fait des études de cinéma à l'école de Lodz, en Pologne. Son troisième long métrage, Elles, a obtenu le Léopard d'argent au Festival de Locarno.

Juliette Binoche y interprète Anne, une quadragénaire cherchant à comprendre des jeunes filles de la jeune génération aux mœurs légères qui se vendent occasionnellement pour acheter des fringues, terminer leurs études et surtout consommer plus. Journaliste d'investigation dans la presse féminine, Anne est désarçonnée par un mari dominé par son travail, un fils aîné qui fume des joints et la prend pour une dame d'un certain âge et un autre plus jeune, pompé par le virtuel de son ordinateur portable. Elle découvre, sur Internet, ce que regarde son mari : des images aux couleurs très moches de sites pornographiques, en somme, la sexualité bon marchée de la société du spectacle. Anne est une bonne âme qui va découvrir un monde différent du sien, un monde illusoire, mais qui la trouble. La curiosité et l'ennui du quotidien la poussent à vouloir comprendre cette époque du marché vivant et virevoltant de la circulation sexuelle (le corps) et abstraite (l'argent). Une époque soumise au vieux dogme utilitariste de l'offre et de la demande. Anne est curieuse, bien sous tous rapports, elle enquête donc sur le terrain, sans vouloir porter de jugement à partir de la vie de deux étudiantes, escort girls devenues.

Sujet rebattu, certes, mais nous ne sommes pas dans un documentaire télé ringard destinés aux consommateurs assoupis qui, espèrent les programmateurs, va les réveiller. Anne a un côté Mrs Dalloway, l'héroïne du roman de Virginia Woolf. Clarisse Dalloway va faire son marché le matin, le cœur léger, et découvre que sa jeunesse se dérobe. De son côté, Anne se retrouve avec des filles qui lui rappellent sa jeunesse : Alicja (Joanna Kulig) et Charlotte (Anaïs Demoustier). Elles deviennent le fil conducteur de sa quête en incarnant deux étudiantes émancipées. En quoi consiste l'écoute de confessions ? Il s'agit de remplacer une mère à qui on a peur d'avouer la vérité ? Comment Alicja et Charlotte fonctionnent-elles dans leur quotidien, confrontées à un mensonge permanent et en porte-à-faux par rapport aux contraintes sociales ?

Mais Anne est aussi le spectateur attentif et voyeur que nous sommes face à l'écran. On respire dans le regard angélique et malicieux du double que se jouent les filles à elles-mêmes et aux autres. La réalisatrice privilégie le ressenti des filles en nous montrant des visages, des gestes, des attitudes qui trahissent des sentiments. Le film ne nous refile donc pas un question-réponse entre trois femmes. La réalisatrice se sert de flash-back entremêlés, et évite donc le leurre de scènes théâtrales. Les plans de cul ont une distance plus juste que la pseudo visibilité que nous offrent les images des pornos (gros-plans théâtralisés). Le hors-champ est plus intéressant que le cadre formaté et Magdalena Szumowska a intégré cette idée depuis ses premiers films, des courts métrages documentaires.

Un client baise Alicja a tergo, ensuite chacun se masturbe face à face et, enfin le monsieur lui chante Les feuilles mortes (la chanson de Prévert et Kosma) en s'accompagnant d'une guitare. Cet humour potache se sert de la musique pour nous introduire dans une zone de silence plus conceptuel que l'échange des corps. Ce silence dans la grâce de la musique joue un grand rôle dans les séquences où Anne se retrouve chez elle, dans son propre appartement - du Gloria in excelcis deo d'Antonio Vivaldi à l'allegretto de la septième symphonie de Ludwig Von Beethoven.

Anne réfléchit à son propre physique. Comment la perçoit-on ? Comme une mémé pour ses enfants ? Et son mari, préoccupé de grimper la pyramide sociale ? Et les deux filles très mode d'aujourd'hui ? Pour essayer de saisir la morale jeune et décontractée de ces jeunes filles, elle se masturbe. Plaisir, jouissance ou devoir ? Les femmes et les hommes sont de véritables énigmes pour les uns et pour les autres… La vie en est un autre, même si la musique nous émancipe de l'espace-temps.