Gomorra de Matteo Garrone
Dans les années 70, Francis Ford Coppola nous a présenté, avec Le Parrain 1,2,3, une mafia au ton shakespearien (entre Richard III et Hamlet). Aujourd'hui, Gomorra, un très grand film noir de Matteo Garrone, nous présente son côté le plus obscur, le plus dément et le plus crétin, plus dantesque que shakespearien. Nous voici dans les trente-trois chants des souterrains du cercle de l'enfer de Dante Alighieri. Les mafieux ne sont pas des héros romantiques et plein de charmes, ce sont des crapules, tout simplement. Siouplait, cessons d'être fascinés par l'utopie des imbéciles et des médiocres ! Inspiré de faits réels racontés par Roberto Saviano (Gomorra aux éditions Gallimard), le film de Matteo Garrone, décrit l'empire mafieux de Naples et de la Campanie (en Europe, oui, l'Europe du libéralisme qui a exclu le social de son calendrier). Le règne insatiable de la religion du profit, d'un capitalisme sans limites, se nourrit de la souffrance et du désespoir des plus démunis, sous le regard cynique des puissants. La Camorra et ses clans organisés au millimètre près gèrent la drogue, le racket, la prostitution, la captation d'argent public et des déchets toxiques.
Gomorra est une galerie féroce, une fresque brutale et sans concessions du règne implacable de la Camorra, étendant sa cupidité dans le monde napolitain, telle une hydre insatiable de la machine à profit. À travers le destin croisé de plusieurs personnages, Garrone nous infiltre au cœur du système mafieux, dans cette multinationale tentaculaire. Toto, un gamin de 13 ans dont la seule vocation est de devenir un petit soldat mafieux ; Don Ciro, distribuant les prébendes aux petites mains et aux petits soldats mafieux ; Franco, notable pas respectable, mais respecté par les industriels du Nord qui déchargent, en pleine (plaine dirions-nous) Campanie, des déchets toxiques et recrutent des enfants pour convoyer les camions ; Pasquale, un tailleur travaillant dans son atelier clandestin (en sous-main de la camorra) pour les grands couturiers italiens (une haute couture que l'on retrouve sur le corps des stars au Festival de Venise) ; et puis, Marco et Ciro, deux adolescents fascinés par le cinéma violent, se prenant pour Tony Montana de Scarface, mais qui, à force de jouer avec les Kalachnikovs avec les vrais caïds, vont apprendre, à leur dépens, que la « structure » (ainsi se définissent les mafieux) est structurée comme un langage. Ajoutons à cet entrelacement quelques règlements de compte entre clans. Ces séquences violentes de la guerre des gangs ou des clans ont créé toute la mythologie des grands films de Martin Scorsese, Brian De Palma, Francis Ford Coppola, Johnnie To et John Woo.
Dans cette société marginale, mais qui prospère à un point tel qu'on se demande si le capitalisme mafieux n'est pas tout simplement notre avenir, la seule loi est la violence. Pas de morale. Roberto Saviano nous l'explique : « L'éthique est le frein des perdants, la protection des vaincus, la justification morale de ceux qui n'ont pas su tout miser et tout rafler ».
Le grand attrait –ce qui en fait un grand film – de Gomorra est que Matteo Garrone refuse de jouer – et c'est ce qui nous stupéfie et nous accable en même temps – avec le style mythologique du cinéma d'Hollywood et de Hong Kong, mais d'élaborer une mise en scène au ras bord de la réalité,. Le réalisateur ne s'intéresse pas aux stars du haut du pavé de la mafia napolitaine (genre Camillo Di Lauro et certainement pas au côté glamour des Michael Corleone ou de Tony Montana), mais au bas du panier. Sa mise en scène filme, tel un documentariste, les situations, donne à voir les comportements en laissant au spectateur le soin de purger.
Bonus
« L'obsession absolue : business, business, business. Quand on gagne, il y a une justice. Quand le bénéfice diminue, c'est mauvais », explique Roberto Saviano dans un entretien de 50 minutes stupéfiant et troublant.
Il nous explique aussi le « système » : 500 familles mafieuses en Italie avec des ramifications mondiales et transnationales. La Camorra a deux régions : Naples et Caserte (la plus violente).
Toutes les mafias du monde, sauf la chinoise, sont structurées selon la mafia italienne. L'indienne aussi. Elles suivent les mêmes rites, organisations, pactes, alliances. L'Italie a enseigné au monde comment dominer le marché criminel. »
Gomorra de Matteo Garrone (2 disques : films+bonus), édition Home, Diffusion : Homescreen.