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Grand soir et petit matin (Mai 68 à Paris)

Publié le 04/06/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
Grand soir et petit matin (Mai 68 à Paris)

Grand soir et petit matin (Mai 68 à Paris)

Mai 68 à Paris, au Quartier Latin, comme si vous l’aviez vécu. Réalisé par le peintre, photographe (partisan de l’objectif Elmarit 28mm sur un Leica M3) et réalisateur de cinéma aux plans très graphiques (Qui êtes-vous Polly Magoo ?, Mister Freedom, Le couple témoin), William Klein. Grands soirs et petits matins est considéré par son réalisateur comme un film qui aurait dû exister (des extraits montés, c’est devenu un style à la mode) tourné en 16mm par lui-même avec pour seul camarade un preneur de son.

« Il faut cesser de croire que la vérité vient d’en haut, des dirigeants du parti ». Les séquences les plus surprenantes sont celles où Klein, au grand angle (il a toujours détesté les télés objectifs) s'approche des gens, à l’écoute, s’insère dans une foule bigarrée qui cause, du soir au matin et du matin au soir, de la révolution passée et à venir. Style :
« Lénine, contrairement à nous, ne disposait pas d’une radio » (l’ORTF était en grève,  NBC n’existait pas encore, et les Français n’avaient pas la possibilité de découvrir les reportages de la BBC, Europe1 étant devenue la radio de tous).
« On a besoin, non d’un parti mais d’un mouvement révolutionnaire » (les organisations ne font pas recettes chez les étudiants qui ont découvert l’efficacité du style « provos » hollandais du mouvement du 22 mars de Daniel Cohn-Bendit).

Séquence suivante, la foule défile (on reconnaît Bernard Kouchner, Jean-Paul Sartre et Alain Resnais) en chantant : « ce n’est qu’un début continuons le combat » - « Adieu de Gaule, adieu de Gaule, adieu ».

Après les nuits d’émeutes au Quartier Latin, les barricades, les discussions entre les citoyens sur la révolution redémarrent, la parole se libère : « Il y a des organisations responsables qui, tout à coup, se sentent emprisonnées, tu comprends », « Il faut d’abord tout détruire, faire table rase », « Nous changerons lorsque nous n’aurons plus les vieilles badernes à la tête des syndicats, punaise, ceux-là tiennent à leur place ». Dans les facs, à la Sorbonne : « Il faut y aller franco, ils sont prêts à céder.-  La bourgeoisie ne cédera jamais d’un iota – Etes-vous pour la révolution ? - Camarades, il ne faut pas faire la révolution trop tôt, regardez les pays de l’Est ! »

À Censier, lors du comité de liaison écrivains-étudiants qui invente des slogans (« La grève désintoxique ») on découvre Marguerite Duras passionnée.

L’un des moments les plus drôles du film se passe au bureau de liaison du CAL (Comité d’action lycéen). Une maman appelle au téléphone. Une jeune contestataire répond : « David n’est pas rentré chez lui depuis une semaine – Madame, rassurez-vous, tout va bien, votre fils manifeste place Saint-Michel – Avec un drapeau rouge, ne me dites pas avec un drapeau rouge ! – (tous les lycéens du CAL hurlent : « Avec un drapeau noir »).

Daniel Cohn-Bendit est interdit de séjour en France et renvoyé en Allemagne (il a la double nationalité). Le 22 juin, les contestataires manifestent à Paris au cri de « Nous sommes tous des juifs allemands ». Après cette expulsion, exprimant la passion du gouvernement Pompidou pour l’union européenne, clic-clac, Cohn-Bendit quitte l’Allemagne et reparaît, les cheveux teint en noir, au grand amphithéâtre de la Sorbonne et s’adresse, au nom du mouvement du « 22 mars » à tous. Il développe l’idée de faire des universités de Paris des centres d’accueil pour la jeunesse afin de développer le mouvement révolutionnaire à l’échelle européenne. Les ministres avalent de travers. Un septuagénaire pré-hippie prenant la parole, provoque un grand silence, en affirmant : « Nous devons remplacer la haine par l’amour », tandis qu’Henri Weber (leader avec Alain Krivine) de la Ligue Révolutionnaire à l’échelle européenne proclame la liquidation du patronat (le Medef s’en est très bien remis).

Infatigable, William Klein, caméra à l’épaule, est toujours là. À la crèche sauvage de la Sorbonne, aux comités d’action à l’Odéon, aux comités Gavroche-Sorbonne, près du corps médical organisé pendant les manifs. Mais aussi le 24 mai, jour et nuit, nouvelles scènes d’émeutes à Paris. Dispersion à la Place Saint-Michel : « C’est une provocation n’y cédez pas », prévient le service d’ordre étudiant qui crée les diversions. Le 29 mai, le général de Gaule quitte l’Elysée et disparaît à Baden-Baden pour consulter le général Massu (et non pas Cohn-Bendit). Les 4-5 juin reprise du travail. Voilà, c’est fini. Depuis, le bienheureux blabla prestigitatif des ultra-libéraux est devenu tellement bling bling (disons-le c’est zéro, foutaises et billevesées pour reprendre Quand le cave se rebiffe) qu’on en arrive à se souvenir de ceci : « Qu’est-ce que cent ans, qu’est-ce que mille ans, puisqu’un seul instant les efface » (1). En effet, les incantations de la pensée dominante se heurtent au réel.

Bonus


William Klein : « C’est un film réalisé de façon improvisée. Lorsque je filmais caméra à l’épaule, je posais des questions, mais tout le monde voulait écouter tout le monde. Ce qui est rare. Ce film, pour moi, montre la jubilation, la fête, la parole, le sentiment de liberté. Il s’agit d’un Paris comme on peut seulement le rêver, sans bagnoles, sans embouteillages. Il faisait beau, on traversait la ville en marchant. Je filmais dans l’optique des Etats Généraux du Cinéma réunis à Suresnes. L’idée étant de filmer en cinéma direct, en cinéma-vérité. Il a été question de filmer dans les campagnes, partout, et que toutes les équipes reviendraient pour monter un film racontant mai 68. On voulait réaliser un événement historique en direct. On pensait que le cinéma allait changer avec la révolution, qu’il y aurait une nouvelle structure de cinéma qui allait se développer. Les films (des centaines de boîtes de pellicules) n’étaient pas développés en France mais en Belgique ou en Italie ».

Contacts


Les échecs et les succès de William Klein, ce très grand photographe, à partir de bobines de 36 pauses, 6 bandes de 6 photos prises l’une après l’autre. On les lit de gauche à droite comme un texte. C’est le journal d’un photographe. On voit rarement l’ensemble des photos shootées par un photographe, on ne connaît que son point de vue, ici on voit tout, l’avant et l’après. Magique. Nous sommes photographes devenus grâce à William Klein et Robert Franck.

(1) Bossuet

Grands soirs et petits matins de William Klein, édité par Arte-video, diffusé par Twin Pics.