Into the Wild de Sean Penn
Publié le 03/09/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
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Christopher McCandless, jeune diplômé d’études supérieures de 22 ans, part sans laisser d’adresse loin de ses parents et de tout ce qui l’entoure afin d’accomplir un voyage initiatique, du Colorado à l’Alaska. À l’instar de Neal Cassidy parcourant l’Amérique sauvage, dans tous les sens, devenu le héros des romans de Jack Kerouac (Sur la route) et de Tom Wolfe (Acid Test), Chris McCandless a vraiment existé. Jon Krakauer, journaliste, a écrit Into the wild, un livre-enquête relatant le voyage de Chris, d’Atlanta jusqu'à son but final dans un bus n°152 en Alaska. Réussissant à contacter les personnes qu’avait croisées Chris McCandless au cours de son périple, il restitue dans son livre le parcours d’un garçon épris d’absolu, préférant la nature aux villes, le déplacement et l’imprévu aux règles d’une civilisation où le cadeau familial consiste à recevoir une voiture neuve pour éliminer la précédente. La valeur dominante de la quête de l’argent ne le fait pas rêver.
Chris décide de découvrir une autre Amérique, celle des pionniers. Son rêve est de fuir la civilisation sédentarisée (tel Rimbaud) et de vivre au cœur de la nature pour en découvrir l’authenticité en explorant l’ouest du Sud au Nord, vers l’Alaska, la dernière frontière.
Après un parcours de deux années, Chris McCandless se brûle les ailes. Il a 24 ans et disparaît dans un bus où il vivait en ermite depuis 79 jours, empoisonné par des baies sauvages cueillies sur les conseils d’un livre de botanique. Il griffonne, sur un bout de papier, un appel à l’aide : « SOS. J’ai besoin de votre aide. Je suis souffrant, près de mourir et trop faible pour m’en aller. Je suis tout seul. Ceci n’est pas une plaisanterie. Je vous en prie, restez et sauvez-moi ». Deux semaines plus tard, des chasseurs le découvrent dans son bus-campement.
Sean Penn a toujours été fasciné par les vagabonds célestes de la beat génération, par les héros de Sur la route (On the road), le livre-phare de Jack Kerouac avec ses personnages qui parcourent l’Amérique via la route 66. Aussi, dès la publication d’Into the wild qu’il lit deux fois en une nuit, il contacte Jon Krakauer pour acquérir les droits d’adaptation. Mais pour réaliser un film, il faut aussi l’accord des parents de Chris, ingénieurs en aérospatiale. Ceux-ci, endeuillés, ont mis longtemps avant d’accepter l’idée, bloquant le projet pendant dix ans. Ils finiront par accepter le film comme une catharsis et peut-être (selon le réalisateur) ainsi trouver une réponse à leurs interrogations.
Sean Penn écrit le scénario en restant fidèle au roman qui cite beaucoup les notes écrites par Christopher McCandless dans son journal de bord. Celui-ci qui s’était rebaptisé Alexander Supertramp a écrit dans son bus, en Alaska : « Depuis deux ans, il marche sur la Terre. Pas de téléphone, pas de piscine, pas d’animaux de compagnie, pas de cigarettes. Liberté ultime. Etre un extrémiste. Un voyageur esthète dont le domicile est la route ». McCandless tenait un journal dans lequel il écrivait des traces de son équipée, notait ses nombreuses lectures, prenait aussi des photos.
On the road, Chris McCandless (Emile Hirsch) rencontre quelques personnes qui ont d’autres hypothèses de vie que celles que lui offre sa famille : un ouvrier agricole, un couple de hippies quinquagénaires, un vieillard solitaire qui propose de l’adopter, une jeune hippie adolescente touchée par la grâce. À tous, il préfère la solitude. Chris est-il le père du héros d’Indian Runner de Sean Penn ? Peut-être bien.
Le réalisateur effectue des repérages avec Eric Gautier, son chef opérateur (qui a travaillé pour Alain Resnais et Olivier Assayas). Ils parcourent différents états de l’espace américain comme le jeune homme. Quarante lieux différents seront choisis dans huit états des Etats-Unis et du Mexique. Eric Gautier explique que Sean Penn lui a demandé de faire référence à Voyage au bout de l’enfer de Michael Cimino, Gerry de Gus Van Sant, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et les films de Terrence Malick, dont Badlands, en évitant les images les plus mystiques du réalisateur du Nouveau Monde (1).
La caméra numérique semblait offrir plus de souplesse que la 35mm, mais n’a pas été retenue, « si le numérique n’a pas remplacé le 35mm, c’est parce que pour un projet comme celui-là, la caméra 35mm et la pellicule argentique restent sans rivales ».
Il faudra huit mois de tournage en extérieur pour développer une odyssée de deux ans, avaler des kilomètres, franchir les frontières, les ravins.
Sean Penn ne suit pas la chronologie du livre. Le film démarre sur la découverte par le jeune marcheur d’un bus vert d’une chatoyante clarté dans la neige, et suspend le spectateur sur sa possible survie dans ce bivouac de fortune en Alaska. On suit avec les 22 ans de Chris McCandless, la remise de son diplôme à l’Emory University lui permettant de briguer Harvard, son refus de poursuivre de brillantes études, sa volonté de quitter ses parents et l’étouffant domicile familial, mais surtout son père ingénieur à la Nasa qu’il déteste. Suit le road movie qui va le conduire vers le Nord, de la Californie à l’Alaska. Le réalisateur divise le film en deux parties, la marche, semelles aux vents dans l’espace américain, et le séjour de Chris en Alaska, dans le bus 152 ; mais aussi en quatre saisons, le printemps, l’été, l’automne, l’hiver. Il explique que son film a été structuré en trois parties différentes, le scénario, le tournage et le montage. Un montage audacieux qui met en écho l’aventure de Chris (le monteur a suivi l’entièreté du tournage avec son MacBook pro, offrant très vite au réalisateur les premières versions possibles).
Film épique, Into the wild, le quatrième film de Sean Penn, réuni fiction et documentaire dans une parfaite osmose.
(1)Beaucoup de critiques américains considèrent Terrence Malick comme l’égal de Stanley Kubrick. Fuyant les exercices de com’, n’accordant jamais la moindre interview écrite ou télévisée, il semble être devenu un double de Jerôme David Salinger, l’auteur de L’Attrape-Cœur invisible depuis 50 ans.
Into the wild de Sean Penn, édité par Pathé et diffusé par Mélimédias.