« L'art peut-il se satisfaire du hasard ? Oui montre Jean Rouch, de mieux en mieux, c'est-à-dire en constants progrès (…). Tout est clair maintenant. Se fier au hasard c'est écouter des voix. Comme la Jeanne d'autrefois, notre ami Jean s'en est allé avec une caméra, pour sauver la France, du moins le cinéma français (…) lorsque Rouch, accroupi, caméra sur l'épaule, se redresse lentement et s'élève à la Anthony Mann, les genoux en guise de grue, pour cadrer Abidjan, ô Abidjan des lagunes, de l'autre côté du fleuve, j'aime ça ». (Jean-Luc Godard, l'Afrique vous parle de la fin et des moyens in JLG par JLG, T.1).
Jean Rouch, coffret Deux
Elève de Marcel Griaule, pionnier du cinéma ethnographique, Jean Rouch est un cinéaste qui, en traitant des thèmes anthropologiques en Afrique, revendique son droit à la subjectivité, en expliquant : « Il se peut que mon regard soit faux, mais mon œil n'est pas une caméra impassible ». Les ethnologues traditionnels y sont réticents. La controverse va éclater à propos du film, Les Maîtres fous (28', primé à Venise en 1957), tourné au Niger. Il nous fait découvrir les rites de possession des Haoukas (les personnages du rite avant d'être en transe, sont montrés dans leur réalité quotidienne, manœuvres, garçons de café, etc.) La polémique va se poursuivre même après que Jean Rouch ait insisté, bien des fois, sur une méthode d'approche qui respecte l'identité ethnique et culturelle des Africains.
Jean Rouch, cet infatigable filmeur, a été l'un des précurseurs de la « Nouvelle Vague » et d'un cinéma libre. Il tourne avec une caméra 16mm, dans la continuité des événements, avec l'équipe la plus réduite qui soit, à savoir, lui-même. Lorsqu'il parle de cinéma-vérité, il signifie que cela ne sera pas un cinéma de la vérité, mais la vérité du cinéma.
Les éditions Montparnasse, dans la série des « grands documentaristes, dénommés « le geste cinématographique » animé par Patrick Laboutte, ont sorti, en 2005, un coffret qui reprend 11 heures de programmes en choisissant les films les plus connus (Jaguar, Moi, un noir, La Pyramide humaine et, bien sûr Les Maîtres fous). Ajoutons-y Cocorico Monsieur Poulet en un seul DVD et nous passons au second coffret, plus axé sur ses films ethnographiques de Rouch, contenant 20 films, 8 heures de programmes.
DVD1, les premiers films, Au pays des mages noirs (1947).
DVD2, Le Peuple de la falaise, démarre sur le beau film que Luc de Heusch a consacré à Marcel Griaule, Sur les traces du renard pâle, recherche en pays Dogon (1931-1983). On y apprend qu’Henri Storck, à côté de l'écrivain Michel Leiris, a été à deux doigts de rejoindre l'équipe de Griaule comme cinéaste dans leur périple de Dakar à Djibouti. L'ethnologue y découvre le pays Dogon et la grande falaise de Bandiagara, un escarpement de grès ferrugineux long de 80 km, surplombant une plaine sablonneuse. Il découvre surtout la cosmogonie de cette société d'initiés, l'une des plus riche d'Afrique, à partir d'une genèse autour d'Amma (Dieu) qui crée Nommo (mâle et femelle à la fois, autrement dit représentant le ciel et la terre, mais aussi l'humidité et la sécheresse). Naît une incroyable hiérarchie, symbolisée par la pyramide (chaque bout de terrain, chaque objet, chaque homme fait partie de l'immuable chaîne du Grand Tout). Luc de Heusch poursuit Rouch et Germaine Dieterlen (considérée comme un homme) dans les méandres masculins du peuple de la falaise Bandiagara, mais aussi dans leur culture, leur symbolique, l'espace, leurs rituels et leurs fêtes masquées.
Suit La Dama Ambara de Jean Rouch et Germaine Dieterlen, cérémonie où les vivants dansent pour enchanter les morts et les apaiser du cri du renard (le maître du désordre).
Les funérailles Dogon du professeur Marcel Griaule. Rappelons que le 18 février 2004, Jean Rouch, grand Zima « ami des hommes et des dieux », mort à 86 ans, a été enterré, chez les Songhaïs, sur une route du Niger, après des funérailles rituelles et nationales.
DVD3 : Sigui. Co-réalisé avec Germaine Dieterlen, L'invention de la parole et de la mort (1981). Le film est échelonné sur sept années (1967 et 1978). Années durant lesquelles se déroule le grand cycle mythologique de la parole et de la mort, pour conjurer la mort et donner, aux Dogons, l'illusion de l'éternité. Rouch explique qu'ils ont suivi les cérémonies (Dieterlen et lui), en avançant dans une marche serpentine de village en village. Cette cérémonie fut décryptée et écrite par Marcel Griaule qui ne l'a jamais vue (le précédent cycle a eu lieu en 1907), mais a pu en recueillir des informations pendant plus de vingt ans. « Nous avions le livret d'un opéra fabuleux », souligne Rouch.
DVD4 Le rire et l'amitié contient Foot girafe, réalisé pour Peugeot. Le film nous montre un match de foot (une girafe joue au ballon) entre une Peugeot 403 et une 504, arbitré par Damouré Zika. Puis, V VV Voyou, une série de sketches pour mettre en valeur la coccinelle en Afrique. La voiture la plus opérante qui soit ne sert pas qu'aux grands-pères pour y mettre leurs ouailles, mais aussi aux dragueurs (« Tu es un homme sérieux ? » demande la passagère – « La voiture est sérieuse », répond Zika). Tout l'humour de Rouch.
Jean Rouch, ethnologue, coffret de 4 DVD, éditions Montparnasse, diffusé par Twin Pics.