Katyn d'Andrzej Wajda
La Pologne n'est autre qu'un « bâtard né du traité de Versailles » disait Molotov, ministre soviétique des affaires étrangères, voix de son maître de Staline. Pour le prétendu père du peuple, il s'agissait de récupérer les parties de Biélorussie et d'Ukraine concédées en 1918. L'Allemagne hitlérienne, de son côté, entendait reprendre les territoires de l'est de l'Allemagne (Prusse orientale) concédés après l'effondrement des armées allemandes et russes et attribuées au nouvel état polonais. La stratégie du blitzkrieg de la Wehrmacht permet à l'Allemagne nazie de conquérir la Pologne en 7 jours. Ils entrent à Varsovie le 28 septembre 1939. Le 17 septembre, l'armée rouge fonce à l'est de la Pologne conformément au pacte germano-soviétique (Ribbentrop/Molotov). L'état polonais s'effondre pour la quatrième fois de son histoire. Le début du film de Wajda nous montre ces deux vagues d'invasion.
En juin 1941, les Allemands, en lançant l'opération Barbarossa, mettent fin au pacte germano-soviétique. En attaquant l'URSS à la stupeur de Staline, ils déferlent par l'Ukraine (le grenier à blé) et s'arrêtent à 60 km de Moscou. En 1943, à Katyn, une forêt en territoire russe, pas loin de Smolensk, les Allemands découvrent un charnier de milliers de cadavres d'officiers polonais exécutés d'une balle dans la nuque. Aussitôt, la radio allemande annonce, le 13 avril 1943, sa découverte de corps momifiés bien visibles à cause de la nature du terrain. Le 15 avril, Radio-Moscou réplique en affirmant que les « bandits germano-fascistes » ont assassiné ces officiers qu'ils auraient capturés lors de leur offensive de 1941.
Deux versions s'affrontent, les faits datent de 1940 pour les Allemands (lors de l'entrée de l'armée rouge) et de 1941 pour les Soviétiques après l'entrée de la Wehrmacht en Biélorussie. Quant aux Polonais, ils n'ont pas de doute, car dès 1943, un rapport de la Croix-Rouge internationale accable les Russes.
En 1992, Boris Eltsine transmet au président Lech Walesa, les archives du NKVD (la sûreté soviétique qui a précédé le KGB). Le tabou s'effondre. Retour du refoulé. Noir sur blanc, on découvre la décision du Politburo du 5 mars 1940. L'ordre est signé de Staline, préconisé par Beria, le chef du NKVD, afin, est-il écrit, d'exécuter « ces ennemis endurcis et incorrigibles au pouvoir soviétique ».
Le capitaine Jakob Wajda, père d'Andrew Wajda mort en 1940, a donc été exécuté à Katyn. À 82 ans, Wajda évoque un sujet tabou pendant l'ère soviétique en nous expliquant comment il a été tué d'une balle dans la nuque à bout portant avec ses camarades (grand moment du film lorsque le réalisateur nous montre les corps qui tombent dans la fosse commune). Katyn, le film, est aussi un hommage à sa mère et aux femmes qui ont gardé, pendant des années, un espoir insensé face à la confusion des noms sur les listes de morts. Wajda s'est servi de lettres et de journaux intimes authentiques et s'en inspire pour créer des personnages de femmes et d'enfants qui attendent, sans la moindre nouvelle, une vérité falsifiée par le silence d'un mensonge. Une imposture que va subir la génération suivante, après la guerre 39-45. On découvre un jeune garçon refusé à l'université comme fils d'officier qui se rebelle et se fait abattre. Le film s'achève en revenant à l'origine de ce mensonge : à la vérité. Les officiers sont massacrés, les uns après les autres.
« Je me suis demandé s'il fallait ou non montrer ces images, explique Andrzej Wajda. Et cela m'a paru nécessaire, dans le premier film sur ce sujet. Il ne suffit pas de savoir que cela a eu lieu. Il faut voir, sentir et comprendre comment la tragédie s'est déroulée. Parce que cela a été interdit pendant des années, et qu'on a besoin de la vérité ».
Avec Katyn, le réalisateur de Kanal et de Cendres et diamant continue son épopée de la survie du peuple polonais en proie aux ambitions de ses deux voisins. Kanal (Ils aimaient la vie) qui retrace l'insurrection de Varsovie, nous avait déjà, à la fin des années cinquante, laissés perplexes sur la décision de l'armée soviétique de rester pendant huit semaines dans la banlieue de Varsovie permettant aux nazis de détruire la ville. Cendres et diamants exprimait le dilemme des résistants nationalistes confrontés aux Soviétiques et à leurs alliés communistes.
Bonus
Ils nous offrent dans « Post mortem », un long entretien fait par la télévision polonaise avec Andrzej Wajda. Mais surtout, les deux versions de propagande et de désinformation de l'époque sur le massacre de Katyn. Toutes deux sont évoquées dans le film. La version allemande, en 1943, à Cracovie (les Russes assassins) et la version soviétique (les Allemands sont les bourreaux de Katyn) en 1945 à Varsovie. Versions complètes en noir et blanc.
C'est quoi la propagande ? Le cynisme d'une pub ? Une non-vérité enrobée de mensonges ?
Enfin un commentaire radiophonique de Joseph Czapski, artiste et résistant, créateur à Paris de Kultura, la célèbre revue polonaise de l'avant Solidarnosc.
Katyn d'Andrzej Wajda, éditions Montparnasse, diffusion Twin Pics.