Cinergie.be

Kouté Vwa, de Maxime Jean-Baptiste, 2024

Publié le 20/01/2025 par Malko Douglas Tolley / Catégorie: Critique

Pardon, Vengeance et Guyane :  le film qui révèle les profondeurs de la douleur et de la réconciliation

Avec Kouté Vwa (2024), son premier long-métrage, Maxime Jean-Baptiste propose une œuvre à la frontière entre fiction et documentaire. Accompagné d’une bande-son soignée, le film nous emmène en Guyane française, dans le sillage du meurtre de Lucas Diomar, un jeune homme dont la disparition a marqué le pays. À travers une approche intimiste, le réalisateur interroge les répercussions de ce drame sur la mémoire collective ainsi que les notions de vengeance et de pardon face à une tragédie de ce type, dans une œuvre inspirante et percutante, récompensée au Festival de Locarno.

Kouté Vwa, de Maxime Jean-Baptiste, 2024

Kouté Vwa prend racine dans une démarche documentaire avant de s’être transformé en fiction, un choix délibéré du réalisateur. En racontant l’histoire du meurtre de son petit cousin éloigné, Lucas Diomar, le réalisateur donne à son film une dimension intime et familiale. Ce changement de format résulte d’une conversation avec sa tante, Nicole, la maman de Lucas, comme il l’explique dans son interview avec cinergie.

L’émotion véhiculée par le film est authentique, notamment grâce à l’implication de personnages réels, comme Yannick Cébret, le meilleur ami du défunt Lucas, qui a survécu à l’attaque. Dans les rôles principaux, le jeune Melrick et Nicole Diomar, qui incarnent leurs propres personnages dans ce cheminement où les barrières entre vérité et fiction sont opaques. Cette approche permet de restituer la profondeur émotionnelle de l’événement sans en faire un simple récit documentaire de plus sur ce fait divers ultra médiatisé depuis une décennie, offrant une réflexion sur la violence et ses répercussions au sein d’une communauté.

Le moment le plus fort du film réside probablement dans cette intense discussion en voiture entre Tante Nicole et le jeune Melrick. Elle lui confie son désir de vengeance et raconte comment, un jour, après la sortie de prison d’un des assassins de son fils, elle s’est retrouvée nez à nez avec lui. Ce face-à-face chargé d’émotions représente un tournant dans son deuil, où elle explique comment elle a réussi à éviter de céder à la tentation de la violence, marquant ainsi un moment de réflexion sur le pardon et la gestion de la souffrance. Cette scène, qui fera probablement verser une larme aux plus émotifs, met également en lumière une vérité fondamentale : le meurtre crée de nombreuses victimes, à la fois directes et indirectes, dont les répercussions vont bien au-delà du drame initial. La conclusion de cette discussion par le jeune Melrick est magistrale. Un grand moment de cinéma. 

Kouté vwa s'éloigne parfois de son sujet initial pour aborder d'autres préoccupations de la jeunesse guyanaise. Le film explore des questions comme l'indépendance de la Guyane, avec des jeunes qui imaginent ce qu'ils feraient s'ils étaient présidents, ou des traditions locales comme les louanges et les messes festives influencées par les rythmes créoles. Ces digressions servent à ancrer le meurtre de Lucas Diomar dans une réalité sociale et politique plus large, montrant que ce drame reste très présent dans l'esprit de la population locale tout en mettant en lumière d’autres préoccupations contemporaines plus générales.

Si la photographie du film est soignée et que certains plans sont magnifiques, le traitement de l’image est inégal, probablement par le fait que certaines séquences ont été tournées comme un documentaire classique, avant que le film ne devienne une fiction.  C’est l’environnement sonore et le propos qui constituent les véritables forces de ce documentaire. Maxime Jean-Baptiste souligne l’importance de l’oralité en Guyane et dans les Antilles. Le son, à la fois immersif et émotionnel, vient enrichir l’atmosphère du film, renforçant le lien entre les personnages et leur contexte. Au rythme des tambours, la bande-son plonge le spectateur au cœur de l’univers guyanais, où chaque note résonne comme une extension des émotions et des tensions vécues par les personnages.

Comme ils l’ont expliqué, Maxime et Audrey Jean-Baptiste, sa co-autrice et sœur, ayant grandi en France, ils ressentent une certaine distance avec la réalité guyanaise. Cette distance se reflète dans le personnage de Melrick, qui, bien qu'ayant vécu en Guyane, a grandi en France et porte un regard particulier et extérieur sur les événements et les réalités locales.

Produit par Twenty Nine Studio & Production et Spectre Productions, en coproduction avec Atelier Graphoui et Shelter Prod, Kouté Vwa est un film captivant qui aborde des thèmes universels tels que le deuil, la violence et le pardon. Il met également en lumière l'importance de garder le sourire et la volonté de vivre auprès de ses proches, peu importe les épreuves de la vie. À travers ses personnages et leur parcours, le film invite à trouver la force de continuer, à travers les moments les plus sombres, en restant connecté à l'essentiel : l'amour et la solidarité familiale.

 

Sélectionné pour la compétition internationale du Festival en Ville qui se déroule du 23 janvier au 2 février 2025, il sera diffusé le 28 janvier à 20h45 au cinéma Galeries de Bruxelles.

https://www.cinergie.be/actualites/maxime-jean-baptiste

https://festivalenville.be/Koute-vwa-3000

Tout à propos de: