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Le ruban blanc, de Michael Haneke

Publié le 02/04/2010 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
Le ruban blanc, de Michael Haneke

Pourquoi l'Autriche est-elle autant critiquée par ses propres artistes ? Pour la permanence de ses clichés sociaux (le langage du pouvoir canonisé dans les valses viennoises), son côté faux cul de prétendue victime du nazisme (les Allemands ont payé seuls la défaite du troisième Reich), son catholicisme suranné (qui revient à la mode). En littérature, les polémiques sur la pyramide de l'autorité, du rôle du maître et de l'esclave, s'expriment dans la totalité des oeuvres de Thomas Bernhard et d'Elfriede Jelinek (Prix Nobel de Littérature en 2004 et traductrice du génial Thomas Pynchon, le Joyce américain).
Au cinéma, Ulrich Siedl (Dog Days), Gotz Spielman (La revanche) et Michael Haneke (La pianiste d'après un roman de Jelinek) ont comme marque de fabrique un point de vue corrosif établissant le procès-verbal d'un pays momifié par le langage du patriarcat dans le tralala des violons du beau Danube bleu. Ce paradigme est représenté dans des films par des mises en scène sèches et brutales.

De Haneke, évoquons surtout ses prix au Festival de Cannes, La pianiste (grand Prix du Jury en 2005), Caché (Prix de la meilleure mise en scène en 2005) et Le Ruban blanc (Palme d'Or en 2009). Ce dernier film sort actuellement en édition DVD et nous conduit dans une Allemagne rurale du Nord, entre 1913 et 1914, « Allemagne année avant zéro de l'infini » où l'assassinat de Sarajevo a déclenché deux guerres mondiales (Hitler étant le sommet de la pyramide du jeu de la chair à canon). Pour autant, le réalisateur évite de proposer des certitudes sur ce dramatique effondrement européen car les incertitudes le passionnent davantage. Il signale que l'idée lui est venue de la rigueur morale protestante d'Ulrike Marie Meinhof qu'il a connue dans les années 1970. Fille de pasteur, Meinhof avait réalisé un film « évoquant la mutinerie d'un centre surveillé, sur des filles n'ayant pas de parents ». Elle était scandalisée par un système qui refusait de changer des choses inacceptables et n'hésitait pas à accueillir, chez elle, certaines filles pour les aider. Entre-temps, Ulrike Meinhof étant devenue l'un des leaders de la Rote Armee Fraktion, le film intitulé Bambule (Mutinerie) avait été interdit. « Moi-même étant issu d'un milieu protestant, j'ai fait le lien, dit Haneke, entre la rigueur morale et le danger du fanatisme ». Voilà donc l'origine de la thématique du Ruban Blanc.

Haneke insiste sur l'idée que notre caractère est formé par l'éducation « que l'on nous impose les premières années de notre vie ». Dans Le ruban blanc, un village à l'éducation prussienne, nous découvrons un baron à l'idéologie rigoriste, un pasteur luthérien à l'éducation sclérosante, un médecin avec une sage-femme éperdument amoureuse, un instituteur célibataire qui aimerait épouser une jeune fille plus jeune que lui pour autant que son paternel y consente, et une pléiade d'enfants dans les mailles de ce filet patriarcal où tout le monde s'incline devant l'autorité des pères ou des maris. Un accident de cheval, la chute mortelle d'une paysanne s'enchaînent avec les agressions sur Sirgi, puis le petit Karli, fils retardé de la sage-femme. D'étranges accidents qui déclenchent, dans ce village, deux conceptions de la vie : celui de l'instituteur pour qui les enfants sont capables de connaître et de commettre le mal, celui du pasteur pour qui les enfants sont des chérubins grâce au refoulement sexuel (on comprend mieux pourquoi Freud est Autrichien), surtout lorsqu'on les ligote la nuit, comme Klara, sa fille et Martin, son fils.

Dès lors, ces enfants vont se prendre pour la main de Dieu (premier titre du film). « Les enfants sont toujours en bas de l'échelle de la répression. Ils sont les victimes par excellence, et je m'intéresse toujours plus aux victimes qu'aux bourreaux. Un enfant a toujours la capacité d'aimer, jusqu'à ce qu'on lui supprime cette capacité ». Nuancé, Le Ruban blanc est parsemé d'incertitudes, d'ambivalence, et ouvre le débat sur l'innocence de l'enfant tout en le laissant ouvert. Certaines questions vont donc rester sans réponses.

Haneke avoue que tous ses films sont réalisés « contre l'industrie des médias. Le cinéma de la distraction ferme les yeux. Si l'on veut croire que le cinéma est une forme d'art, on est obligé de mettre le doigt sur ce qui fait mal (pousser le spectateur dans ses retranchements dans une gifle comme Funny Games). C'est pareil pour la littérature, on ne peut pas vivre dans une société comme la nôtre sans être contre elle. Sans ça le monde serait plus pauvre aujourd'hui. Cela le rend plus supportable. »

Le cinéma de Haneke procède de la chirurgie, de la dissection d'une barbarie que nos pays riches n'ont jamais réussi à éradiquer. Même si la violence naît de la peur et de l'ignorance. « Lorsqu'on est confronté à l'extrême, on repousse ce que l'on ne connaît pas ». En outre, Freud nous l'a décrit, il y a en chacun de nous un plaisir de la destruction. « Les scènes terribles nous fascinent parce qu'elles concernent les autres. Mais cela pourrait être moi. »
Le choix de laisser tomber la couleur, rappelle que notre mémoire de ces années-là est dans la photo et le cinéma. Le noir et blanc, tourné en pellicule couleur photochimique, a été transféré en numérique afin de rester dans le ton de l'image photographique dominant de l'époque, le noir et blanc des superbes photos d'August Sander sur l’ensemble des classes sociales de l'Allemagne des débuts du XIXe (Les hommes du XXe siècle – 600 clichés).

Le ruban blanc, de Michael Haneke, édité par Cinéart et diffusé par Twin Pics.