Le Temps des Gitans de Emir Kusturica
Emir Kusturica a quitté Sarajevo (ex-Yougoslavie) à l’âge de dix-neuf ans pour suivre les cours de la prestigieuse école de cinéma de Prague. Il va y découvrir les films de Jean Vigo, de Federico Fellini, de Luis Buñuel, de Vittorio De Sica et d’Andreï Tarkovski.
Bosniaque d’origine musulmane mais slave, il précise : "Ma famille était de celles qui, à la venue des Turcs, se lie à l’Islam pour améliorer son statut social". Et cela dès le XVème siècle. "Mon enfance et ma jeunesse – qu’on peut du reste rapprocher de mes deux premiers films – sont, dans mon souvenir, des images très intenses : un mélange de vie assez normale et de vie religieuse ".
La Yougoslavie que nous montre Kusturica était un pays sous-développé. C’est-à-dire un pays où la différence entre ville et campagne était grande. Dans cette dernière, les populations vivaient dans une sorte de Moyen-Age. Le réalisateur n’a jamais admis la fin de l’état yougoslave. "Peu importe, finalement, qu’on soit Bosno-Croate, ou Bosno-Serbe, ou musulman, on va directement à la nostalgie slave, la rapidité slave à réagir à certaines choses qu’on n’apprend pas …on a des réactions volcaniques ».
Le Temps des Gitans accentue un style que Kusturica va développer dans ses films suivants : le goût de la fête et du fantastique, de la farce et de la bouffonnerie. Son troisième long métrage, Le Temps des Gitans est une fresque sur la marginalité tzigane. Il nous conte les errances de Parhan, fils naturel d’une tzigane et d’un soldat slovène qui survit dans un bidonville avec sa sœur infirme, sa grand-mère tzigane buveuse et fumeuse, ainsi qu'un tas de dindons qui courent partout. La passion qu’il éprouve pour Azra amène notre dadais en Italie, où sous la houlette d'Ahmed Dzida, le scheik des gitans, il pratique le vol et le trafic d'enfants.
Le rêve a également une place importante chez le réalisateur. On ne peut qu'être subjugué par la superbe scène rêvée du mariage sur le fleuve illuminé : Parhan enlève ses immondes lunettes et Azra grave le nom de son amoureux sur son corps. "Si je prends la scène de la rivière, suggère le réalisateur, ce n’est qu’au stade du montage que j’ai découvert son importance. C’est un rite de passage de l’enfance à l’âge adulte. Je ne voulais pas que l’apogée ait lieu à la fin, mais à ce moment-là, ce qui me faisait prendre un grand risque ".
Le Temps des Gitans est un film étonnant nous montrant un mode de vie qui n’a rien à voir avec l’idéologie petite bourgeoise que l’audiovisuel ne cesse de diffuser. Dans le monde de Kusturica, on est dans une Europe primitive et populaire bien éloignée des strass et paillettes associés. Le mot de la fin revient au réalisateur : « Peu importe que le public occidental ne comprenne pas toutes les allusions en détail ; ce qu’il faut comprendre, paradoxalement, c’est ma loyauté envers ma culture slave. »
Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica, Edité par Sony et distribué par Twin Pics
Sources :
- Postif n°296
- Entretiens avec Serge Grumberg - Ed. Cahiers du Cinéma