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Lust, caution d'Ang Lee

Publié le 04/09/2008 par Philippe Simon / Catégorie: Sortie DVD
Destins piégés
 
Lust Caution d'Ang Lee
 
Lust, caution dernier opus d’Ang Lee, Lion d’or au Festival du film de Venise, sort en DVD, accompagné d’un bonus au titre saugrenu de Tuiles trompeuses, affections scabreuses. Au travers de quelques interviews très découpées des comédiens du producteur et du réalisateur, il met en exergue le savoir faire d’Ang Lee et donne quelques clés de lecture pour mieux comprendre les enjeux de ce film ambitieux.
Ang Lee, cinéaste des amours improbables, semble éprouver un malin plaisir à revisiter le cinéma de genre pour mieux en détourner les archétypes narratifs. Ainsi, après Tigre et dragon (film d’arts martiaux) et Brokeback Mountain (western), Lust, caution joue du film d’espionnage et des dangers d’une reconstitution historique difficile (La Chine de la seconde guerre mondiale et sa résistance à l’occupation japonaise) pour mieux s’intéresser aux rapports complexes et ambigus d’un homme et d’une femme au prise avec les dérives sulfureuses du pouvoir.
Wong est une frêle étudiante se découvrant un véritable talent de comédienne, et qui met son art de feindre et de jouer les sentiments de l’amour au service de la résistance chinoise en vue de séduire et d’assassiner l’un des chefs de la collaboration avec les Japonais.
Yee est cet homme méfiant et secret, ce collabo redoutable qui traque et torture les agents de la résistance, soutient l’effort de guerre des Japonais et tente d‘échapper aux manœuvres de séduction de Wong.
Entre elle et lui s’élabore un théâtre du faux-semblant affectif qui, s’articulant sur les gestes de la passion amoureuse, bascule progressivement dans cette zone obscure et trouble où la vérité du mensonge devient la seule réalité émotionnelle.
Commence alors une étrange relation de « qui contrôle qui », où chaque personnage se retrouve piégé dans son rôle tel un papillon épinglé sur la toile de l’Histoire, ne trouvant jamais le chemin de sa métamorphose libératrice, ne laissant jamais imaginer qu’il pourrait en être autrement.
D’une réalisation à la facture très classique, mais à la narration efficace, Lust, caution relève d’un cinéma de la cruauté. Ang Lee, tel un entomologiste averti, se penche sur la faillite affective de ses personnages qu’il dissèque avec une précision toute scientifique. De là sans doute ce vernis glacé qui donne une touche factice à tout le film et nous laisse sans cesse sur le seuil d’une réelle émotion.
Art de la manipulation et du simulacre, Lust, caution, à trop jouer la distance, nous place dans la position inconfortable et un rien perverse du voyeur. Et si Ang Lee excelle à recréer la vie quotidienne de cette Chine occupée, le fait que ses personnages n’évoluent que dans leurs prisons personnelles crée un fossé entre eux et les remous de l’Histoire qui alors n’apparaît plus que comme un décor sans grande importance.
Film après film, et Lust, caution en est certainement l’évidence la plus aboutie, Ang Lee met en scène des rencontres impossibles qui se résolvent toujours dans le tragique quand elles se confrontent à la banalité sociale. Le monde qu’il nous donne alors à voir est un monde mort où les êtres sont comme mus par une sorte de machinerie existentielle qui les dépasse et qui jamais ne les autorise à ne plus être ce qu’ils sont.
Pessimiste autant que désespéré, Lust, caution semble nous dire que le monde est immuablement noir, et que les quelques rares moments de plaisir qu’il autorise sont comme un trait de maquillage qui en souligne d’autant la noirceur. Défense exemplaire d’une certaine forme de résignation, le propos d’Ang Lee colle peut-être à notre époque, il n’empêche qu’il ne suscite pas toujours l’adhésion.