Mauvais sang de Leos Carax
Bizarre, bizarre, comme c'est étrange ? Boy Meets Girl a propulsé Leos Carax, cinéaste-artiste, dans le monde du cinéma comme un feu de Bengale. Son second film, Mauvais sang, inaugure la séquence de l'attente impatiente du film annoncé et constamment retardé. Le schéma va culminer avec Les amants du Pont-Neuf et Pola X, plaçant Leos Carax au centre de feuilletons dignes d'être écrits par les mains fascinantes et inépuisables d'un Honoré de Balzac (genre Splendeur et misère des courtisanes ou Un prince de la Bohême). Aujourd'hui, à petit prix, Cinéart réédite, en DVD, Mauvais sang, un film qui a vu le jour grâce à un producteur-pirate de grand talent, Alain Dahan.
C’est ce film, Mauvais sang, qui a propulsé Stéphane Streker, notre compatriote, dans la réalisation cinématographique (Michaël Blanco et actuellement, en pré-production, Montana). La story, please ! Le film se passe en 1986, année de son tournage et du passage de la comète de Haley. Ah oui ! Keskesksa ? Un clin d'oeil malicieux à l'Etoile mystérieuse d'Hergé. Il fait tellement chaud que les personnages sont le plus souvent filmés torses nus, dans une ville surchauffée (un Paris imaginaire). Deux gangsters âgés (mais avoir de la bouteille dans cette profession, force le respect), Marc (Michel Piccoli) et Hans (Hans Meyer) cherchent à venger la mort de leur ami Jean. Celui-ci a été jeté (première scène du film) sous les rails d'un métro par un chef de gang et ses flingueurs (dont un certain Hugo Pratt). Les deux compères retrouvent Alex (Denis Lavant), le fils de Jean, qui vit un amour partagé avec Lise (Julie Delpy). Ils lui confient le soin de venger son père en volant la formule du vaccin qui est le seul à combattre STPA, un virus qui contamine « les gens qui font l'amour sans amour ». Le virus est convoité par deux bandes rivales. Fasciné par la beauté d'Anna, la compagne de Marc, Alex, va-t-il accepter le deal ? On s'en fout, à commencer par Leos Carax, digne héritier de Godard qui s'intéresse davantage à Anna (clin d'œil à Anna Karina) qu'à ce narratif scénaristico-guignolesque. Inévitablement, on se souvient de la façon, très leste, dont Jean-Luc Godard, dans les années 60, se servait des polars de la série noire pour parler d'Anna Karina (comme Rouge, blanc, bleu de Richard Stark devenu Made in USA avec Anna Karina dans tous les plans et, dans quelques-uns, une certaine Marianne Faithfull). Carax s'intéresse, quant à lui, derrière son polar, à Anna (Juliette Binoche) qui fait vivre à Alex une passion amoureuse que le réalisateur arpente surtout à partir des visages plus que des corps. Mieux encore, Carax s'intéresse à leurs yeux, à leurs regards dans le silence de leur troublante respiration.
Des moments forts, il y en a quelques-uns qui habitent nos mémoires et que ce DVD nous permet de revoir. Il y a le visage angélique d'Anna, telle Louise Brooks, les larmes aux yeux, comme une vierge de la Renaissance (le visage en gros plan, très cinéma muet) et Alex, essayant de la consoler en jouant les ventriloques (« je veux te voir sourire »). Il y a aussi, à partir d'une musique de David Bowie, la course de profil d'Alex avec ses sauts de clown sportif, filmés par un travelling géant, célèbre devenu (« un amour qui va vite mais qui dure toujours »).
Du noir et blanc de Boy Meets girl à la couleur de Mauvais sang, la fascination pour la même passion amoureuse d'un homme pour une femme, le même personnage Alex (Denis Lavant) passant de Mireille (Mireille Perrier) à Anna (Juliette Binoche). L'amour plus funambulesque et passionnant que la solitude suicidaire que son absence engendre.
Mauvais sang de Leos Carax, diffusé par Cinéart/Twin Pics, collection « La Collection ».