Nuit de chien de Werner Schroeter
Dandy incontournable de la scène du nouveau cinéma allemand des seventies, Werner Schroeter a fait partie du cercle incandescent constitué par Rainer Werner Fassbinder, Hans Jurgen Syberberg, Wim Wenders, Werner Herzog et Daniel Schmidt. Il est mort le 10 avril de cette année, au moment où Nuit de Chien, son dernier film, produit par Paulo Branco, sort en DVD. En 2008, il avait obtenu le Lion spécial de la Mostra de Venise.
Personnage-phare d'un cinéma allemand désintoxiqué de la propagande nazie - voir le superbe Hitler, Eine film aus Deutchland (Hitler, un film d'Allemagne) de Hans Jurgen Syberberg - Werner Schroeter s'est vu dépeint de belle façon, sous le pseudo du « Baron » par Jean-Jacques Schul dans son beau livre Ingrid Caven (prix Goncourt 2000). « Le génie du Baron est de savoir passer très vite, et mine de rien, de l'un à l'autre avec des bouts de ficelle, donner une impression de luxe s'achevant dans un maniérisme qui à son tour tourne cour : six, sept films de quatre sous amorçant plusieurs styles sans insister, classique, kitsch, lyrique, populaire, segments sonores bout à bout, échantillons où persiste la trace de la collure. »
Coté francophone, l'œuvre lyrique et hallucinante de Werner Schroeter, très underground (grand connaisseur de l'opéra et de la musique des bouges) est plutôt méconnue hormis, dans les seventies, avec La Mort de Maria Malibran (tourné en super 8mm) puis, accessible en salles, Le règne de Naples et Palermo (Ours d'or à Berlin en 1980).
Coté francophone, l'œuvre lyrique et hallucinante de Werner Schroeter, très underground (grand connaisseur de l'opéra et de la musique des bouges) est plutôt méconnue hormis, dans les seventies, avec La Mort de Maria Malibran (tourné en super 8mm) puis, accessible en salles, Le règne de Naples et Palermo (Ours d'or à Berlin en 1980).
Isabelle Huppert va envoyer, début de ce siècle, Schroeter au Festival de Cannes en jouant dans deux films du maître créatif de la déambulation romantique et baroque. Le premier, Malina (le roman d'Ingeborg Bachman adapté par Elfriede Jelinek, le prix Nobel de littérature autrichienne), le deuxième, Deux, (figures de la féminité, deux jumelles, l'une travaillée par son corps et l'autre par ses pensées, chacune cherchant l'autre).
Nuit de chien est adapté d'un roman de l'écrivain uruguayen Juan Carlos Onetti intitulé plus justement Para esta noche (Schroeter disait que cela montrait davantage l'importance du moment présent que le titre français). Onetti écrit le roman en 1943 en s'inspirant du vécu de deux hommes qu'il vient de rencontrer et qui viennent de fuir l'Espagne franquiste. L'écrivain latino-américain donne à son récit une touche intemporelle. Il invente Santamaria, une ville imaginaire, une cité noire que les lecteurs d'Onetti retrouveront dans l'ensemble de son œuvre. Schroeter décide d'incarner cette ville immatérielle à Porto et dans d'autres villes portugaises. Nuit de chien, essai sur la liberté, envers et contre tout, est aussi et surtout une utopie. Le cinéaste rappelle qu'Onetti était le contraire du capitaliste : un homme qui a vécu avec son intelligence seule ».
Le film s'ouvre sur une citation de Jules César de Shakespeare (1623) que lit Schroeter : « De tous les paradigmes dont j'ai entendu parler, le plus étrange, pour moi, c'est que les hommes ont peur, voyant que la mort est une fin nécessaire qui doit venir quand elle doit venir ».
Un homme descend d'un train, la nuit, gare de Santamaria. La ville est plongée dans une guerre civile. On y transpire des militaires déboussolés, des résistants en débâcle, des policiers assoiffés de sang et des putes au grand cœur. L'homme, médecin et ancien résistant, essaie de sauver celle qu'il aime et de retrouver ses anciens compagnons qui vivent les derniers jours de la dictature. Un chef d'état (prodigieux Samy Frey) trône dans la folie Shakespearienne d'un roi fou assis sur un fauteuil rouge sous une pluie de duvet blanc. Nous sommes dans l'apocalypse d'une fin de règne croisant le Berlin de Mai 1945, atomisé par les troupes soviétiques, ou les chemises noires de Mussolini terrorisant les Italiens dans la république de Salo.
Werner Schroeter nous dépeint l'agonie de cet état du monde avec une virtualité façonnée en quarante films réalisés, un rythme musical qui est propre à ce metteur en scène d'opéra et une créativité visuelle époustouflante qui rend son film hallucinant.
Nuit de chien est un précis de décomposition dans l'euphorie de l'amour, du présent de la vie (demain est un autre jour) filmé comme un opéra baroque par son réalisateur, Werner Schroeter, disparu il y a peu.
Nuit de Chien, Werner Schroeter, éditions Montparnasse, diffusion Twin Pics.