Cinergie.be

Resnais, Hawks et Dark ladies

Publié le 01/01/2008 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Portrait
Resnais, Hawks et Dark ladies
Resnais, Hawks et Dark ladies
Pour les loulous qui adorent le cinéma, mais s’endorment grâce à la com leur présentant des films tellement barbants qu’ils risquent de dormir bonbon pour de bon, Alléluia ! Restez au lit avec votre copine (« Un canon de chez craquant » dixit Tarantino). C’est un plaisir jubilatoire. En plus, vous pourrez lire quelques bouquins intéressants consacrés au cinéma.
Le mois passé, on vous a parlé d’Howard Hawks via Trafic 63, rebelote à la suite de la sortie de l’excellent livre de Noël Simsolo sur le phénomène Hawks.
On apprend plein de choses sur Scarface, le film qui a propulsé HH et fut produit par un milliardaire de 23 ans, Howard Hugues (autre HH). La trajectoire de Tony Camonte (inspirée de celle d’Al Capone) est scénarisée par Ben Hecht « qui a l’idée de transposer l’histoire incestueuse de la famille Borgia dans le scénario du film».

En tuant Rinaldo, Tony Camonte détruit sa propre prolongation virile et se trouve alors seul, en gamin têtu qui sera ravi de trouver, en sa sœur, une nouvelle partenaire qui accepte de continuer à jouer avec lui (et pour lui). Tous ces éléments laissent percevoir que Scarface n’est pas seulement la description d’une carrière criminelle, mais la mise en relief de la nostalgie du ludique de l’enfance.
C’est  le grand art de HH, construire une mise en scène dans une profusion de tableaux illustrant structurellement, tel un architecte, ses propos. Ce n’est pas un hasard si André Bazin avait baptisé malicieusement les Hitchcocko-hawksiens des Cahiers du Cinéma les "jeunes Turcs" (Eric Rohmer : « Personne n’a traité de façon aussi complète et complexe la question de l’être qu’Howard Hawks. Et personne n’a traité de façon aussi complète et complexe la question de l’apparence qu’Alfred Hitchcock »).

On vous laisse découvrir les analyses de Simsolo sur Le Port de l’angoisse, Le Grand sommeil, Les Hommes préfèrent les blondes ainsi que les westerns : Red River, The Big sky, Rio Bravo, El Dorado, Rio Lobo pour terminer avec Hatari. « Le principe du film est une saison de chasse, du  début à la fin, explique HH, c’est ce qui arrive à un groupe parti chasser ensemble au cours d’une saison ». Hawks se moque bien de la cible chère aux hurluberlus actuels de la production. « Il ne veut pas d’un scénario définitif. Il se moque de l’intrigue et pense surtout aux scènes qu’il a envie de tourner, sans se soucier de savoir si le film sera une comédie ou un drame ».
On a parlé d’une lutte (la chasse) contre la nature par des pionniers de la civilisation. Sourions doucement. « L’évidence tombe : ce n’est plus la nature qui est hostile, mais le monde extérieur et civilisé. Hawks a donc retourné sa thématique ». Simsolo nous en livre la clé avec justesse : « la seule fois on l’on entend crier Hatari (danger), c’est au cours de la séquence de la capture des singes par fusée interposée. Tout nous devient alors clair : le danger, c’est la civilisation, avec ses inventions bizarres et colonisatrices des instincts naturels ». 

Howard Hawks par Noël Simsolo, Les Cahiers du Cinéma.
 
Hiroshima mon amour par Luc Lagier (les fans de DVD connaissent ses excellents bonus sur MK2). Né au départ d’un documentaire consacré à la bombe atomique lancée sur Hiroshima, Alain Resnais, insatisfait, demande à Marguerite Duras d’écrire une fiction dans laquelle la modernité serait reliée à l’Histoire. Cela va créer un film, qui au début des années 60, va bouleverser l’histoire du cinéma en créant une rupture avec le classicisme. Certains d’entre vous se souviennent de la Table ronde parue dans Les Cahiers du Cinéma en 1997 mais aussi de Tu n’as rien vu à Hiroshima (présidé par A. Delvaux et R. Ravar) publié par l’Institut de Sociologie de l’ULB (colloque décisif pour lancer la création de l’INSAS). 

Hiroshima mon amour suit la rencontre de deux amants (une Française et un Japonais) en alternant un présent dans la ville de Hiroshima et un passé (pour la Française) à Nevers (le temps passé, sans être dépassé).
 
« Hiroshima mon amour fonctionne comme un cycle, écrit Luc Lagier, correspondant à celui des marées à Hiroshima…les images du passé affleurent à la conscience, s’invitent dans le temps présent, puis doivent disparaître (…). À Nevers, les cheveux tondus à la libération repoussent. À Hiroshima, de nouvelles générations renaissent après l’apocalypse nucléaire ». 

L’ouvrage comporte une série de textes, documents, témoignages, entretiens, analyses, avec Marguerite Duras, Alain Resnais, Emmanuelle Riva et un entretien avec Nobuhiro Suwa, le réalisateur japonais qui a réalisé H Story, un film inspiré par Hiroshima mon amour. Mais surtout une série d’échos visuels du film : les rimes, la continuité, les champs/contrechamps (une Japonaise dont les cheveux tombent au lendemain de l’explosion de la bombe et une Française tondue au lendemain de la libération de Nevers) et aussi une analyse de séquences sur le passé et le présent : « Trente septième minute du film. Dans l’appartement de l’amant japonais, la jeune Française dévoile une partie de son passé à Nevers. Des images remontent à la surface (…) la Française rejoint son amant allemand dans la forêt ».
Hiroshima mon amour, Luc Lagier, Cahiers du Cinéma.

Un volume intitulé Le film noir d’un certain Gabriele Lucci paraît chez Hazan. Trois cent cinquante pages pour un dictionnaire (mots-clés, acteurs, créateurs, films) qui se révèle être un guide incontournable des films noirs. Septante films-clés et dix chefs-d’œuvre; de Assurance sur la mort (Billy Wilder) à Collatéral (Michel Mann). Le film noir, situé dans les villes, est à l’aune de la société occidentale des années 1930-1950 frappée par la Grande Dépression et la Seconde Guerre Mondiale. Héritier de l’expressionnisme allemand et du réalisme poétique français, il naît en Amérique avec le hard boiled et démarre, selon Gabriele Lucci, en 1941 avec Le Faucon maltais (John Huston) pour terminer sa course avec La Soif du mal (Orson Welles) en 1958. Le genre poursuit son destin avec le post-noir (1960-1970) suivi du néo-noir (à partir des années 1980). Cerise sur le gâteau, les loulous, les dix films cultes sont chacun accompagnés de 24 photogrammes reproduits en format scope. De quoi vous faire pétiller les yeux et aiguiser l’imagination. En bon cinéphile, n’hésitez pas à montrer à votre compagne les DVD détaillés dans cet ouvrage pharaonique. À petite dose pour éviter que celle-ci ne se transforme en dark lady et ne vous expulse du lit. Bonne nuit les loulous.
Gabriele Lucci, Le film noir, éditions Hazan