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Nabil Ayouch, de l'Occident à l'Orient

Publié le 15/11/2012 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Portrait

Cinéaste singulier né à Sarcelles en France d'une mère juive franco-tunisienne et d'un père musulman marocain, Nabil Ayouch est devenu, après quatre films, l'un des cinéastes les plus appréciés au Maroc. Né dans la vague de l'après 1968, près de Paris, il démarre au théâtre, puis réalise plusieurs courts métrages dont Les pierres bleues du désert (1992) qui permet au jeune Jamel Debouzze d'obtenir son premier rôle à l'écran, celui d’un jeune Marocain incompris.

Nabil Ayouch © JMV/Cinergie

 

Regrettant que les films américains ne nous montrent le monde arabe qu'à travers des «soldats de la guerre sainte » qui, malheureusement, ne sont pas des tire-au-flanc, mais tuent les autres, comme si la peur et la terreur - kalachnikovs à la main - étaient les seuls liens circulant entre les êtres humains, Nabil Ayouch décide de faire des longs métrages plus proches des contes orientaux, plus subtils (Ali Zaoua prince de la rue, Whatever Lola Wants). Du cinéma étasunien, il va retenir l'idée de saisir les mouvements qui précèdent l'action. Il choisit de vivre au Maroc et de rechercher les liens qui existent entre l'Occident et l'Orient. Casablanca lui rappelle Paris, les faubourgs et le centre. À Casa, il découvre la ville et les bidonvilles.

Tourné en 1997, au Maroc, Mektoub, son premier long métrage, suit le parcours de Taoufik, un médecin qui suit un colloque sur l'ophtalmologie, à Tanger. Sophie, son épouse, a subi un viol dans un guet-apens, près de leur hôtel. Sélectionné, le film représente le Maroc aux Oscars, fait 350.000 entrées en salles : une première pour un film qui ne vient pas des Etats-Unis. Co-scénarisé par Faouzi Bensaïdi, le futur réalisateur de www.what a wonderful world va remporter, en 2007, un autre grand succès dans son pays.

Dans Ali Zaoua, prince de la rue (2000), des enfants des rues s'affrontent en deux clans. Habitant près du port, Ali rêve de parcourir le vaste monde en naviguant pour échapper à son destin. Proche des idées de Kiarostami sur les comédiens professionnels et les non professionnels, Nabil Ayouch choisit comme interprètes des enfants des rues de Casablanca grâce à une association qui leur vient en aide (Bayti).

Le dynamisme du cinéma marocain accroît la production nationale à l'intérieur comme à l'extérieur du pays. En 2005, Nabil Ayouch fonde "Film Industry Made in Marocco" qui va produire 30 films (courts, moyens, et longs métrages pour le cinéma et la télévision). L'idée est de passer de l'artisanat à l'industrie, mais avec une économie de moyens, notamment en effectuant des ponts avec d'autres pays (un peu le système Européen des trois pays).

Whatever Lola Wants (2008) tourne autour de Lola, jeune américaine espiègle et piquante qui débarque en Egypte pour apprendre la danse orientale et retrouve Zack un ami qu'elle a rencontré à New York. Un lien amoureux via la danse orientale la lie alors avec un jeune Egyptien. Lola va circuler dans un Orient où l'érotisme se montre plus sensuel que les produits sexuels qu'offre l'Occident. Ismahan, ex-star de la danse en Egypte, apprend à Lola que la danse doit montrer ce que l'on ressent à l'intérieur. La sensualité d'un spectacle n'est pas un striptease, mais offre une sorte de don de soi.

Cette année, en 2012, Les Chevaux de Dieu, son dernier long métrage sélectionné à Cannes (section Un certain regard), est beaucoup plus explosif. Il est adapté d'un roman de Mahi Binebine (Les étoiles de Sidi Moumen). Comment devient-on un kamikaze au service de Dieu ? Après les attentats du 11 septembre, il y a eu, en 2003 une vague d’attentats à Casablanca causant 45 morts dans 5 endroits différents du centre de la ville. Pourquoi devient-on djihadiste, proche d'Al-Qaïda ? Nabil Ayouch nous le montre par petites touches, de misères en misères, en racontant la vie de deux frères, dans un monde de mecs guerriers qui se disputent entre deux clans rivaux. Ici, dans un bidonville de Sidi Moumen, simplement par les affrontements autour du ballon rond (rassurons les naïfs, le football oriental ne fabrique pas des terroristes, par contre la misère les engendre). Et si vous êtes dans un bidonville, vous risquez d'être le pigeon de gens qui se gardent bien de se faire sauter à votre place pour aller dans le paradis qu'ils vous promettent. (1). Le paradis et la violence héroïque pour y parvenir sont une chorégraphie parfaite, mais qui n'a pas grand-chose à voir avec la danse orientale. Si vous êtes un néophyte exalté par une nouvelle église, vous n'avez plus besoin d'accumuler les mérites, vous les obtiendrez d'un coup en explosant. Et la paix, n'est-ce qu'un rêve ?

Dans My Land,un documentaire réalisé un an avant Les Chevaux de Dieu, la paix est précisément le souci de Nabil Ayouch. Pourquoi y a-t-il un tel fossé entre Palestiniens et Israéliens qui vivent dans un territoire pas plus grand qu'un mouchoir de poche ? Nabil Ayouch a longtemps boycotté Israël jusqu’à ce qu'un jour, on lui permette de montrer ses films en territoire palestinien et à Jérusalem (Est et Ouest). Une réconciliation est-elle possible via le cinéma ? Le cinéaste promène sa caméra au sud du Liban chez les réfugiés palestiniens et en Israël. À l'écoute de l'humain, au-delà des guerriers, il interroge les Palestiniens et les Juifs sur ces frontières fermées sur une terre commune. Pourquoi ne pas s'entendre lorsqu'on est lié par un destin commun ?

(1) Sur le djihad contemporain, Martin Amis signale que, pour une génération, ce mot est devenu charismatique : « Unir la férocité et la rectitude dans un seul mot : rien ne pouvait rivaliser avec ça. » Les derniers jours de Mohamed Atta in Le deuxième avion, aux éditions Gallimard.

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