Samson & Delilah de Warwick Thornton
Samson & Delilah
Dans une communauté aborigène vivant dans la pauvreté, le jeune Samson passe ses journées contre le mur de l'épicerie, en sniffant des vapeurs d'essence dans une boîte à conserve tout en draguant Delilah qui prend soin de sa grand-mère âgée. Nul avenir pour ses deux adolescents passant leur journée au milieu d'adultes aux gestes immuables dans les baraquements en tôles de leur terre ancestrale. Ce film étourdissant nous offre la beauté des origines d'un monde lié à la rareté des paroles (en langue warlpiri). Communiquer en silence avec son corps, dans une approche animale, sert de langage et même de dialogue. Très belle séquence : pour séduire Delilah, Samson offre son corps à son regard, en dansant la nuit dans une parade amoureuse plus forte que la déclaration qu'il a écrite sur un mur : « Samson et Delilah tous les jours ».
Samson et Delilah fuient leur territoire. On the road. Volant la voiture de la communauté, les amoureux se rendent en ville en espérant y gagner leur vie. Ils échouent, sous un pont routier dans la zone. Ils y côtoient Gonzo, un clochard céleste aborigène. Lui aussi est devenu bavard comme une pie.
L'art des « native » a beaucoup de succès chez les citadins. Il est devenu une valeur d'échange entre les allogènes et les aborigènes. Delilah, initiée à la peinture par sa grand-mère, cherche à vendre ses propres toiles. Sans le moindre succès, et sans paroles. Retour dans la zone grise de l'espace-temps, hors de la tranquillité des inclus. Samson et Delilah ne communiquent pas, ils communient, ensemble, en silence. L'un à côté de l'autre pour partager le temps. Celui du rêve qui, dans la croyance aborigène, désigne l'ère qui précède celle de l'arrivée de cet homme blanc qui les a chassés du paradis.
Warwick Thornton, réalisateur aborigène d'Australie, passe de l'ellipse aux temps morts de la durée (l'ennui sans ennuyer). Il n'insiste jamais sur un événement. La voiture qui percute Delilah est un son qui réveille Samson, à l'avant-plan de son délire des vapeurs d'essence. On ne la verra que lors de son retour de l'hôpital marchant avec une canne. Thornton a la belle idée, en nous montrant Samson et Delilah, ces deux muets, de choisir les gestes et la musique plutôt que le signifiant d'une parole maîtrisée par les allogènes. Mais aussi, outre une inscription photographique avec de la pellicule 35mm plutôt qu'avec du numérique, un choix des lumières, de grosseurs de plans, de ralentis époustouflants. Caméra d'or au Festival de Cannes 2009, of course !
Samson & Delilah de Warwick Thornton, édité par Cinéart, diffusé par Twin Pics.