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The Grand-Master de Wong Kar-Wai

Publié le 20/11/2013 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD
The Grand-Master de Wong Kar-Wai

On se souvient que dans In the mood for love de Wong Kar-Wai, le vécu est toujours différé par la mémoire du passé. Mais aussi que la mémoire individuelle est recouverte par la mémoire collective (1). Dans les années 60, Charles de Gaulle se rend àPhnom Penh, la capitale du Cambodge, et y tient un discours sur la neutralité d'un pays qui évite d'intervenir pendant la guerre du Vietnam. Tout au long de son parcours, de l'aéroport à la ville, il est applaudi par la population khmère (2).

The Grandmaster, le dernier film de Wong Kar-Wai, nous parle aussi des labyrinthes de l'Histoire, de l'individu à la communauté. Dans la Chine des années 30, du Nord au Sud, IP man (qui représente Yi Man, le maître dans l'art du Kung-fu de Bruce Lee) est un habitué du Pavillon d'or. Un lieu de rencontres des spécialistes des arts martiaux dans lequel IP man découvre Gong Er (Zhang Ziyi), une combattante forte et habile, fille d'un grand maître du Nord de la Chine. L'homme et la femme se livrent à différentes joutes. En 1938, les Japonais envahissent la Chine puis, sont chassés par les soldats nationalistes de Tchang Kaï-chek et les communistes de Mao Zedong. Mais le chaos continue, avec une guerre civile entre deux visions de la Chine qui se termine par la prise de pouvoir de Mao. YI man, membre du Kuomintang, s'enfuit à Hong Kong et ne reviendra plus jamais en Chine. Il convertit sa nostalgie en transmettant son art aux nouvelles générations. Tandis que Gong Er enfouit son passé dans la mélancolie.

Wong Kar-Wai nous offre une méditation sur le temps qui passe, tout en nous racontant trente ans d'histoire dans la Chine des trois territoires. Le film se termine dans les années 60. Wong Kar-Wai considère qu'il s'agit d'un moment qui restructure le monde asiatique. Les anciens pays colonisés refont une nouvelle carte géopolitique de leurs territoires et du cinéma : de la Corée du sud à Taïwan, en passant par Hong Kong. Désormais, les « nouvelles vagues » cinématographiques émergent avec une différence importante par rapport aux nouvelles vagues européennes (à l'Est comme à l'Ouest) car ils gardent un pied dans la tradition en ayant l’autre dans la modernité que leur proposent les occidentaux.

Comment habiter le temps ?, se demande Wong Kar-Wai dans The Grandmaster. Et comme l'Histoire nous intéresse davantage que les romances, nous retenons le côté historique du film. Rappelons que le cinéaste chinois est né à Shanghai. En 1966, il fuit la Révolution culturelle avec sa mère. Parlant le mandarin, il découvre une autre langue à Hong Kong, le cantonnais. L'ancienne colonie britannique de la Chine méridionale a été rétrocédée à la Chine continentale en 1997. Reste Taïwan (dirigée longtemps par les nationalistes du Kuomintang) pour que l'ensemble du pays se recompose.


(1) Tête bêche est le titre du roman de Liu Yichang dont s'est inspiré Wong Kar-Waï dans In the mood for love. Pourquoi rien ne se concrétise-t-il entre homme et femme se demandent certains spectateurs ? L'adolescente et l'homme âgé ne se rencontrent jamais dans le livre, ils parcourent seulement les mêmes lieux à Hong Kong.

(2) Pourquoi le Cambodge ? Wong Kar-Waï s'en est expliqué : « On a regardé toutes les actualités filmées et, le grand événement de l'époque, ce fut la visite de Charles de Gaulle au Cambodge. J'aimais ce document : il n'évoque pas seulement cet événement, mais il a comme une fonction de réveil ». Entretien avec Michel Ciment et Hubert Niogret, in Positif 477.

Dans les Bonus, Making of + un documentaire sur la route des grands maîtres, lors de la préparation du film.
The Grandmaster édité par Cinéart et diffusé par Twin Pics.