Twin Peaks de David Lynch
En 1990, Twin Peaks n’a pas seulement fasciné les cinéphiles amateurs du réalisateur de Blue Velvet mais des milliers de téléspectateurs américains (grâce à la chaîne ABC) et européens qui ignoraient la personnalité de David Lynch.La saga de la série phare d’ABC débute par un de ces trucs tellement étrange, mais si évident quinze ans après, que pour peu il échapperait à tout commentaire réfractaire. Il y a un avant Twin Peaks et un après Twin Peaks (pour se lancer dans le jardin de cette série mythique).
Une série n’hésitant pas à jouer du soap en lui juxtaposant le cinéma créatif cher à Lynch (et Dieu sait si les américains - et maintenant les européens - détestent cela). David Lynch, qui aime les magistraux pieds de nez, n’hésite pas à utiliser une esthétique qu’on a jamais vu à la télévision, permettant aux néo-cinéphiles et aux aficionados d’en jouir ensemble (aussi incroyable qu’il y paraisse). Pour le coup, la néo-cinéphilie de Tarantino en est brindezingue.
Dès l’épisode-pilote nous sommes captivés, envoûtés, éloignés du sirop télévisuel habituel. Qui a tué Laura Palmer (l’énigme) mais aussi épisode par épisode qui est Laura Palmer ? Une collégienne victime de son charme ? Une minette masochiste ? Une obsédée sexuelle poursuivie par des mâles pervers ? Bizarre vous avez dit, bizarre, comme c’est étrange. Cette série fantasmatique (créée avec Mark Frost) va rapidement devenir l’une des premières séries cultes d’Internet à ses débuts.
-« Ils nous ont repéré.- Passe-moi un Donut. – Je crois qu’on les a perdus »
Le corps de Laura Palmer, assassinée dans une petite ville (Twin Peaks) près de la frontière canadienne est retrouvée emballé dans du plastique transparent. Dale Cooper (un joyeux lutin, agent spécial du FBI) est chargé de résoudre une énigme et son imagination débordante en ajoute une série d’autres, tel un farfadet plus insaisissable que Laura Palmer. Cooper file son enquête dans la toile d’une série de rêves et de visions où un nain parle à l’envers et où un monde parallèle lui permet de démasquer Bob. Compliqué ? Mais non, on vous permet de produire du sens, de retrouver l’histoire classique grâce aux habitants de Twin Peaks qui ne cessent de créer de sordides intrigues qu’ils croient (les pauvres naïfs) dissimuler comme d’imprévisibles secrets.
Quoi encore ? Ah, et bien Dale Cooper est super gourmand. Il ne cesse de s’empiffrer de Donuts, de tartes à la myrtille et d’un délicieux café pour rendre la journée cool. Miam-miam. Pour le coup, l’agent du FBI songe carrément à vivre dans la région. Ce farfelu, amateur du Tibet complètement zen, stupéfie une police locale qui est loin d’avoir découvert la poudre d’escampette. Surtout le policier Andy, un empoté qui ne cesse de pleurer en parlant à Lucy, la standardiste, et qui semble être un double burlesque du rigolo Cooper.
Quoi encore ? L’agent du FBI enregistrant sa vie dans un dictaphone ? Mieux, la beauté des collégiens et collégiennes. Lorsque ces dernières écoutent les bleuettes, le visage mouillé de larmes, on découvre que certaines d’entre-elles flirtent secrètement avec la prostitution. Audrey, suivant la piste de Laura, se rend au « Jack n’a qu’un œil », s’y fait enrôler grâce à sa façon particulière de jouer avec –turlututu—les queues de cerises. Mais bardaf, Audrey découvre que son père qui débarque est le patron de ce casino pour érotomanes.
Les inconditionnels du cinéma narratif doivent s’accrocher aux pieds de nez de Lynch-Frost puisque la résolution de l’intrigue se perd. On est dans un Mc Guffin –dites donc on ne cesse de nous sortir souvent depuis Hitchcock cette figure-là ! Ben oui, l’appat-leurre de Lynch se cache derrière une bourgade sympathique avec des personnages singuliers souvent compulsifs comme la femme à la bûche (paysage in ou off, dans le pilote).
Face au professionnalisme du formatage télévisuel, Lynch offre un usage magistral de la mise en scène et des ressources sonores (c’est aussi le cas de INLAND EMPIRE dont Grégory Cavinato vous parle dans ce webzine).
Twin Peaks est-il une bonne histoire ? Turlututu, chameau pointu, Lynch se moque bien de produire du sens. Simplement (si on ose dire), c’est une série de films où domine les rêves (allusion à l’Odyssée de l’espace ?), les cauchemars (les méandres du cerveau), l’inconscient (au secours docteur Freud, ah Monsieur Lacan, entrez-donc), la fiction éclatant comme une série de contes plutôt qu’un scénario pour mémères de moins de cinquante ans. Bref, suspens, humour, frayeur, beauté (Ah ces collégiennes de Twin Peaks comment peut-on les oublier ? Personne n’y parviendra). L’émotion de ces images de femmes va vous hanter longtemps (chère Audrey). La jouissance – paradis – de la pleureuse et de la bouleversante, dans Mulholand Drive, n’est-ce pas ces figures de la féminité qui nous émeuvent le plus.
Le final de l’épisode sept fait-il exploser l’agent Cooper ? Pas du tout même s’il gît, dans sa chambre, touché au ventre.
La suite, siouplait, la suite…
Parmi les bonus, seule l’interview de 14 minutes de Mark Frost est intéressante.
Twin Peaks David Lynch et Mark Frost, Pilote et épisodes de 1 à 7. Prod TF1, diffusion Belga.