Two Lovers de James Gray
Little Odessa (découverte surprise à Cannes en 1994), The Yards (2000) et La nuit nous appartient (2007) de James Gray sont des films noirs qui nous plongent dans l'univers des mafieux New-yorkais d'origine russe. Surprise donc de découvrir – même si la thématique sur l'impossibilité de fuir la famille et sur le retour du fils prodigue reste ses principes de base – avec Two Lovers, une histoire d'amour inspirée de Nuits Blanches, un récit de Fedor Dostoïevski déjà adapté par Luchino Visconti (Les Nuits blanches) et Robert Bresson (Les Quatre nuits d'un rêveur).
La scène d'ouverture nous plonge dans une ambiance crépusculaire, entre chien et loup. Dans la pénombre d'un pont, dans le quartier de Brighton Beach à Brooklyn, Léonard Kraditor (Joaquim Phoenix) de dos, traîne une veste sortie du pressing de ses parents où il travaille. Une mouette passe dans le ciel tel un ange. Très léger ralenti sur sa démarche de pingouin. Léonard se jette dans l'eau pour s'y noyer, aperçoit dans un rêve onirique la femme qu'il aime et qui l'a quitté et remonte à la surface. « Au-secours ». Des gens se précipitent et le sortent de l'eau, surgissent des voix qui donnent de la lumière à la nuit : « Qu'est-ce qui s'est passé ? – Je suis tombé – Pas vrai – Je l'ai vu, il a sauté ». Dégoulinant d'eau, Léonard rentre chez ses parents sans la veste de pressing.
Vous y êtes ? k, vous venez de pénétrer, en trois minutes quarante-cinq, dans le monde de la vibration des sentiments, dans l'hésitation entre le devoir et le désir de Two Lovers du mélancolique James Gray.
Léonard est un personnage maniaco-dépressif, aux troubles bipolaires, dit-on aujourd'hui, ayant vécu une déception amoureuse qui le renvoie dans l'univers de ses parents, pour y survivre à une autre tentative de suicide (on peut découvrir des cicatrices sur ses poignets). Léonard ne cesse d'hésiter entre le quotidien et l'aventure, entre la raison et la pulsion dionysiaque, entre le roman familial et les caprices d'une séductrice. Il est rapidement et doublement épris de deux femmes : la brune Sandra Cohen (Vinessa Shaw) et la blonde Michelle Rausch (Gwyneth Paltrow) et ne sait plus à quel sein se vouer. Sandra représente le choix de ses parents, son père étant l'associé du père de Léonard dans le commerce du pressing, et lui offre un avenir assuré, mais Michelle est le brûlot de l'amour passion. La grande malice de James Gray est d'avoir confronté Léonard, dans son choix cornélien, à deux filles séduisantes et belles. Sandra est certes, une fille sage, finaude et attentive qui, au fil du film, nous démontre toute son intelligence et son humanité ; Michelle représente l'idéal féminin pour qui les guerres entre hommes se créent (Hélène de Troie ?). Elle vit une aventure désastreuse avec un homme marié qui lui fait croire aux fadaises qu'elle a envie d'entendre – à quoi, au juste font croire les hommes mariés aux filles derrière lesquelles ils courent à toute allure, pour se convaincre de leur pouvoir de mâle ? – à l'évasion du quotidien sinon à la victoire de Dionysos sur Apollon. Sauf que la futée Michelle prend le risque de quitter son amant vieillissant pour le vieil enfant qu'est Léonard. Celui-ci vit son apothéose amoureuse, lorsque sur le toit, dans une scène hitchcockienne, il glisse à Michelle (qui a dû l'entendre une dizaine de fois) : « Je vais m'occuper de toi ». Mais à ce moment précis, le regard-caméra de Michelle… non, non, on ne va pas vous raconter la suite et la fin aussi bouleversante que le début de ce film tourmenté où Joaquim Phoenix incarne Léonard de manière vertigineuse.
On comprend mieux pourquoi James Gray, en entretien, ne cesse de parler de Vertigo d'Hitchcock.
Two Lovers, édité par Cinéart, diffusé par Twin Pics
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