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Vitrival de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert

Publié le 19/11/2025 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Panique au village !

Il faisait bon vivre à Vitrival, paisible village wallon de la province de Namur, où tout le monde connaît tout le monde. Puis sont arrivés les pénis, qui ont mis le village sens dessus dessous : des graffitis de zguègues apparus sur les murs, et même sur la porte de l’église ! Et personne n’a vu le coupable !... À la même période, on enterrait un premier suicidé, puis un deuxième, un troisième… Maintenant, saison après saison, les graffitis se multiplient et les suicides suspects atteignent un nombre inquiétant (six en trois mois, et ce n’est que le début…) La population est effrayée par cette double épidémie en forme de malédiction qui s’est abattue sans prévenir sur leur charmant village. Benjamin (Benjamin Lambillotte) et Pierre (Pierre Bastin), deux cousins, agents de police municipaux, patrouillent. Mais à part distribuer des flyers de prévention contre le suicide, que peuvent-ils vraiment faire ?

Vitrival de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert

Le récit se déroule sur un rythme indolent, suivant l’enquête mollassonne du duo de policiers, bien connus de tout le village, qui se font offrir des biscuits, de la tarte ou une bonne « jatte » de café par les témoins qu’ils interrogent, mais qui n’accomplissent jamais rien. On se surprend à trouver une certaine poésie dans ces dialogues banals du quotidien : à Vitrival, les épouses appellent leur mari « Chou », on se dit « à torate »[1], et la philosophie du citoyen moyen est qu’« on n'a nin à s'plîre »[2]. Nous faisons la connaissance de quelques-uns d’entre eux, qui font ce qu’ils peuvent pour braver l’ennui, mais qui s’amusent « come one crosse di pwin drî l'ârmwêre »[3], comme on dit là-bas : Louise joue du tambour 24 heures sur 24 pour protester contre le fait qu’elle ne peut pas intégrer la kermesse, exclusivement masculine. Son père brûle des détritus dans le jardin alors que c’est interdit et que ça fait tousser les voisins. Un groupe de retraités, qui se sont surnommés « la brigade anti-bites », se lancent dans l’action citoyenne pour trouver des indices et démasquer les auteurs des graffitis. Quant au frère de Pierre, une vraie « tiesse di cabus »[4], adepte de la théorie du complot, il tient un carnet d’observation de l’état psychologique de ses concitoyens. Il s’avère que tous ceux qui étaient notés « en rouge » se sont suicidés par la suite… 

Une comédie wallonne « avec l’accent », le vocabulaire et des phallus ? Oufti ! Voilà une proposition qui pouvait légitimement inquiéter, mais ce curieux projet dévoile très vite sa vraie nature : pour leur premier long non auto-produit, Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert se lancent dans une radiographie drôle, cruelle, mais réjouissante et surtout bienveillante de cette Wallonie figée dans le temps, un peu endormie, où la dépression se propage telle une maladie contagieuse. Comme beaucoup de villages wallons, Vitrival est un mélange de paysages magnifiques (ses petits chemins de terre, ses vieux cimetières) et de modernité malvenue (les éoliennes, les travaux incessants et quelques nouvelles maisons modernes qui gâchent le panorama), avec une communauté modeste, mais très unie. 

Jonction improbable entre l’univers de Bruno Dumont (style naturaliste, acteurs non professionnels), l’humeur poético-absurde de Twin Peaks et une vieille vidéo de famille, Vitrival rend un hommage tendre et mélancolique à l’esprit wallon : tristounet, mais égayé par ce langage irrésistible, et peuplé de personnages cocasses et attachants. Le temps défile au ralenti (à l’écran comme dans la salle), l’enquête n’est qu’un prétexte, et le film requiert donc une certaine patience. Mais le résultat, avec son humour au premier degré et son goût pour l’absurde, est indéniablement l’un des films belges les plus originaux depuis belle lurette. 

 


[1] « à tout à l’heure »

[2] « On n’a pas à se plaindre ».

[3] « comme une croûte de pain derrière l’armoire »

[4] « un sacré têtu »

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