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Ann Veronica Janssens : los van de materie

Publié le 19/07/2018 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Immersion dans l’univers de la plasticienne belge Ann Veronica Janssens qui, depuis la fin des années 70, travaille sur l’expérience sensorielle plus que visuelle. Vous priver de l’ouïe ou de la vue, vous perdre dans la couleur, dans le temps et dans l’espace, avec les matériaux que sont l’air, le brouillard, le son, telle est la quête qu’elle poursuit.
Dans le cadre de la série Goudvis diffusée sur la chaîne Canvas, Jan Blondeel dessine le portrait de cette « sculptrice avec presque rien ».

Ann Veronica Janssens : los van de materie

Entre les images d’archives, celles de la fabrication, les explications poético-scientifiques de l’artiste et les sensations en direct des spectateurs, ce portrait complet s’éloigne de toute anecdote et se focalise stricto sensu sur l’art comme travail et recherche. On entre dans le documentaire comme d’autres dans une exposition d’Ann Veronica Janssens, dans le brouillard d’une pièce, et quelques visiteurs viennent nous livrer leur impression sur cette expérience étonnante. Et puis, très vite, le film se construit autour de la figure de l’artiste elle-même. Blondeel la filme chez elle ou dans différents espaces, différents musées, en train de mettre en place ses installations ou d’essayer de nouvelles expériences. Il la suit dans ses déambulations, capte quelques moments suspendus avec plus de grâce, et rythme sa progression de multiples paroles, interviews de curateurs, de critiques d’arts, d’artistes comme Daniel Buren, qui lui aussi travaille comme Janssens, « in situ », ou d’Anne Teresa De Keersmaeker, avec qui elle a collaboré à plusieurs reprises.
Par instant, dans certaine séquences, Blondeel insère des prises de vues plus antérieures, des images d’archives ou des vidéos qu’il construit lui même, cherchant à brouiller ses propres images, quand soudain, leurs grains différents les décrochent du moment de l’enregistrement, ou qu’un noir et blanc s’installe tout à coup dans la continuité colorée. Il cadre parfois très serré pour saisir en gros plan la magie d’une bulle flottante, les reflets de la lumière à travers différentes surfaces réfléchissantes ou il immerge sa caméra dans les brouillards. Son travail de mise en scène, de manière parfois un peu simpliste, tente de décadrer lui aussi nos sensations de spectateur, à l’image du travail de l’artiste qu’il suit. Et ce n’est pas toujours très convaincant. Mais ce travail reste passionnant qui documente largement cette artiste belge hors norme, son parcours et ses objectifs, qui serpente avec agilité dans différentes installations qu’elle vient elle-même expliciter, qui nous la montre en acte, en travail, toujours les mains dans le cambouis, ou plutôt, s’émerveillant elle-même des diverses œuvres qu’elle a créées. Et peu à peu, le film de Jan Blondeel s’illumine de l’énergie rayonnante de l’artiste, modeste et toujours souriante, touche-à-tout géniale jamais en reste d’idées, dont la belle et généreuse obsession est toujours la même : nous émerveiller des possibles de la réalité, libérer notre regard et nos perceptions, agrandir encore et toujours l’ouvert. 
Ann Veronica Janssens, née au Royaume-Unis, Ann Veronica Janssens a grandi jusqu’à l’âge de 13 ans au Congo-Kinshasa où son père travaillait en tant qu’architecte. De cette enfance africaine, elle gardera l’impact de cette lumière si particulière près de l’équateur, de sa force et de ses innombrables variations. Elle poursuit ses études à Bruxelles où elle s’oriente d’abord vers l’architecture avant de s’en détourner, la discipline lui semblant trop soumise aux règles des matières et des volumes solides. Elle s’oriente alors vers les arts plastiques et développe depuis les années 70 une pratique basée sur la recherche d’expérimentation sensorielle de la réalité. Grâce à différents dispositifs, installations, projections, mise en place d’environnements immersifs, interventions dans l’espace urbains, Ann Veronica Janssens sculpte les volumes, la lumière, les sons, les couleurs, dans des approches volontairement dématérialisées, pour inviter le spectateur, rendu de plus en plus actif, à dépasser les limites de ses perceptions. Les matières, utilisées pour leur propriétés (brillance, transparence, fluidité), et les phénomènes physiques (réflexion, réfraction, perspective, équilibre, ondes) sont agencés de manière à bouleverser nos rapports au réel. Avec la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker, elle a élaboré à la scénographie de plusieurs spectacles ( Keeping Still - 2007,The Song – 2009, Cesena -2011).

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