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Road 190 d’Emilie Cornu et Charlotte Nastasi

Publié le 11/06/2025 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

Sélectionné dans la compétition internationale Courts et Moyens Métrages à Visions du Réel 2025, Road 190 relance le débat sur la peine capitale. Coréalisé par Charlotte Nastasi, diplômée de l’IAD et responsable de la diffusion et promotion des documentaires belges francophones au Centre de l’audiovisuel à Bruxelles, et Émilie Cornu, diplômée en criminologie à l’Université de Lausanne et actuellement psychocriminologue, ce documentaire est leur première réalisation produite par Close Up Films et Stenola Productions. C’est au cœur de l’État du Texas, non loin de la prison de Huntsville surnommée « Walls Unit », que les deux réalisatrices suisses ont posé leur caméra. Elles ont suivi Mabry, un condamné à mort, qui quittera un jour sa cellule pour parcourir les 60 km qui le séparent de « Walls Unit », le lieu où il sera exécuté.

Road 190 d’Emilie Cornu et Charlotte Nastasi

Réputé pour être l’État des USA qui connaît le plus d’exécutions capitales, le Texas a été le premier état à pratiquer l’injection létale avec Charles Brooks, Jr. en 1982. Moises Mendoza est le dernier à avoir été exécuté le 23 avril 2025. Aujourd’hui, ce sont plus de 200 condamnés à mort qui attendent leur tour dans le couloir de la mort texan. Et, ils peuvent attendre jusqu’à vingt longues années.

Pendant une heure, le spectateur suit Mabry, un prisonnier qui attend le jour où il sera transféré là où on ne peut plus faire marche arrière, là où il faut se rendre en empruntant cette fameuse route 190 qui traverse une petite bourgade rurale, route au bord de laquelle les habitants guettent furtivement les condamnés qui font leur dernier voyage jusqu’à Walls Unit. Les deux réalisatrices ont opté pour un plan fixe sur Mabry dans un parloir, téléphone en main, qui livre, sans pudeur, ses ressentis, ses doutes, ses craintes, ses souvenirs, ses espoirs aux spectateurices qui l’écoutent, impuissants. Ces plans asphyxiants, qui enferment le protagoniste, las, fatigué, en étau entre une grille et une vitre, sont entrecoupés par des images de cette bourgade rurale qui vit au rythme des alarmes carcérales qui résonnent comme les cloches d’une église de campagne.

Et le Texas, c’est un programme haut en couleur même si c’est plutôt l’Américain blanc puritain qui prime. La sobriété de Mabry, sa poésie, sa voix qui berce vient se heurter à des Texans qui fanfaronnent avec leur fusil à l’épaule, avec les évangélistes qui crient fort dans le micro de l’église, avec les danseurs de country qui claquent leurs bottes, chapeau de cow-boy vissé sur la tête, avec les chasseurs qui épinglent leurs trophées de chasse dans le salon, les addicts de fast-food qui commandent des burgers « chaise électrique ». Et pour la plupart d’entre eux, ce qui se passe à quelques kilomètres de là, c’est normal. Même Jésus a été condamné à mort, alors… Il y a quand même quelques défenseurs des droits humains qui luttent vaille que vaille devant les murs de la prison, mégaphones en main, sous le regard indifférent des gardes qui patrouillent. Le film oscille donc entre ce parloir exigu et ces grandes étendues texanes peuplées d’hommes et de femmes au quotidien qui nous dépasse un peu, depuis notre point de vue.

Au-delà des images montées en alternance, c’est aussi les discours qui détonnent. D’un côté, les réflexions philosophiques d’un homme qui parle de liberté, de justice, de droits humains, de dignité et de l’autre, les paroles futiles des habitants, des mots qui choquent vus d’ici.

En 2023, la peine de mort a été abolie dans plus de 144 pays du monde, mais elle reste encore d’actualité dans 55. Beaucoup de citoyens du monde plaident encore en faveur de ces exécutions. Road 190 est un film qui met en lumière ces condamnés, mais aussi celleux qui cautionnent ces crimes.

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