Dans son premier long métrage documentaire, Monstres de poussière (2025), la réalisatrice belge Nina Marissiaux donne la parole à Johnny et Goyko, deux anciens sans-abri qui tentent de reconstruire leur identité et de partager leur histoire. Le film explore avec sensibilité les défis de la réintégration sociale et les blessures profondes laissées par la vie dans la rue, tout en questionnant les liens uniques que le cinéma documentaire peut créer entre la réalisatrice et ses sujets.
Monstres de poussière de Nina Marissiaux

Nous sommes face à un partage et un échange sincère entre Johnny, Goyko et Nina. Cette sincérité n’aurait pu exister sans la relation forte nouée entre eux et Nina. Ce film est à leur image, modelé autour d’eux et du processus de création. La réalisatrice s’intègre dans la diégèse par la parole, par sa présence et par sa mise en scène. En effet, le documentaire nous immerge aussi dans les backstages, dans le processus d’écriture et de mise en scène.
Dès les premières images, avec cette séquence où Goyko et Johnny commentent une vision du film, quand ils font une réflexion sur le futur titre du film « Monstres de poussière », nous comprenons tout de suite que nous allons certes suivre deux personnes réelles, mais aussi deux personnages, deux individualités hautes en couleur qui nous feront rire comme émouvoir. Sans rentrer dans un mélodrame, Nina ne les met pas à nus. Un réel respect de leur intégrité agit au sein de chaque image, chaque scène d’eux pour conserver une image qui les rendra fiers à l’épreuve du temps.
Le film s’est initié sur le temps. Entre leur première rencontre et la projection, plusieurs mois se sont écoulés au cours desquels ils ont évolué. De nouveau dans un processus de mise en abîme, nous découvrons les images d’essai de Goyko qui y réagit. C’est ainsi qu’il constate qu’il a évolué, qu’il n’est plus le même, qu’il a mûri. Ce documentaire parle aussi de ces phases de notre vie où nous traversons des épreuves dures qui nous bouleversent. Ces épreuves qui nous changent et nous font passer d’un état à un autre, ce sont souvent celles dont on se souvient le mieux.
Nina s’inclut dans le film sans prendre la lumière, mais pour renforcer cette mise en abîme de co-création. Nous voyons bien souvent ce qui se dit avant un plan mis en scène, comment ils réagissent face à cela, la fatigue, leurs improvisations, leurs pensées libérées. C’est ainsi qu’une nouvelle personne s’ajoute au récit : Anne qui prend le rôle de la parole tranchante, interrogatrice et philosophe. Dans un commentaire qu’elle a fait sur le film nous percevons toute sa clairvoyance : « Toi [en s’adressant à Nina], tu peux toujours te justifier, mais nous, on sera éternel ».
La dernière dimension du documentaire est celle de l’aventure humaine. La réalisatrice n’a pas seulement souhaité réaliser un film sur des personnes qui deviennent des personnages une fois devant la caméra, non, ils et elles sont devenus des connaissances, des proches, qui suivent et vivent aussi la rencontre avec le public. Là où bien souvent les documentaires peuvent s’arrêter au tournage, ici Monstres de poussière continue jusqu’à la projection. Il nous atteint, nous questionne pour, finalement, tout en douceur et légèreté, nous marquer.
Monstres de poussière ne se contente pas de raconter une histoire : il la construit avec celles et ceux qui l’habitent. En tissant un lien profond entre la réalisatrice et ses protagonistes, le film devient une œuvre vivante, mouvante, où la création est aussi importante que le résultat final. Johnny, Goyko, Anne et Nina forment un quatuor inattendu, mais puissant, qui transcende les codes du documentaire pour atteindre une vérité humaine, pudique et sensible. À travers cette aventure collective, Nina Marissiaux signe une première œuvre touchante, empreinte d’humilité, qui rappelle que le cinéma, parfois, peut réparer, relier et faire exister autrement.