Après le succès d’I’m Not a Robot, oscarisé en 2025, la maison de production The Y-House poursuit son engagement avec Slave Island, coréalisé par Jimmy Hendrickx et Jeremy Kewuan. Récompensé du prix du Meilleur Documentaire belge à Docville (Louvain), le film s’inscrit dans une tradition documentaire sobre, précise et radicalement humaine.
Slave Island, coréalisé par Jimmy Hendrickx et Jeremy Kewuan

Le sujet est frontal : l’esclavage héréditaire existe encore à Sumba Ouest, en Indonésie. Mais ce que révèle le film dépasse la simple persistance d’un système ancien. On y découvre une réalité presque indicible : des enfants arrachés à leurs familles, parfois donnés en toute connaissance de cause par leurs propres mères, conscientes qu’ils seront battus, violés, privés d’école. Le film donne la parole à ces enfants — une parole rare, fragile, mais d’une lucidité accablante. L’horreur ici n’est pas spectaculaire, elle est structurelle. Et elle se transmet.
Ce que le film réussit brillamment, c’est de ne jamais réduire cette situation à un simple fait divers ou un drame isolé. Il montre comment une hiérarchie sociale ancienne — marquée par des classes figées et des croyances ancestrales — continue de justifier ces pratiques. Des adultes expliquent, posément, pourquoi certains enfants ne valent rien, pourquoi il est "normal" de les posséder. Le documentaire laisse ces discours se déployer sans filtre, sans couper. Et c’est précisément ce qui rend l’expérience si troublante.
Au cœur du film, Jeremy Kewuan tente de libérer trois enfants. Mais cette tentative soulève une question morale vertigineuse : pour les sauver, faut-il négocier avec les exploiteurs ? Faut-il payer ? Participer au système pour y mettre fin ? Le documentaire ne tranche pas, mais expose cette tension avec une honnêteté rare. Cette approche — qui ne sanctifie pas l’activiste mais le montre dans ses doutes et ses limites — déplace les codes du documentaire engagé, et renouvelle profondément l’écriture documentaire belge.
La mise en scène reste au plus près des visages, des voix, des silences. Quelques plans larges viennent rappeler la beauté presque irréelle de l’île, en contraste cruel avec ce qu’on y découvre. Le montage est d’une grande maîtrise : il donne de l’air quand il faut, mais ne relâche jamais la pression.
Slave Island évite les effets faciles, refuse l’émotion forcée. Il regarde le réel droit dans les yeux, et en sort un récit implacable. Un documentaire rare, qui dérange, qui interroge, et qui marque durablement. Slave Island est un film dur, mais nécessaire.
Pour en découvrir plus sur cette maison de production située à deux pas de la place Flagey, l’interview de son fondateur Henry Gillet est disponible sur cinergie.be
Interview Henry Gillet (The Y-House): https://www.youtube.com/watch?v=aSh8Se9w3h8