Cinergie.be

L'annonce de Bruno Tracq

Publié le 19/05/2025 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Faire le choix de savoir pour mieux affronter l’avenir. C’est cette décision qu’a prise Alice Rivières il y a plus de dix ans, lorsqu’elle a appris qu’elle pouvait être porteuse du gène causant la maladie de Huntington, pathologie neurologique rare, héréditaire et à ce jour incurable. Au travers de ce film, revenant sur ce parcours d’acceptation qui s’articule comme un voyage collectif, le cinéaste Bruno Tracq et son équipe mettent en images un récit de vivre ensemble, et où art, pensée, échange et partage permettent d’envisager d’autres avenirs.

L'annonce de Bruno Tracq

Choisir de savoir, c’est s’autoriser à avancer, s’autoriser à vivre avec. Mais cela ne rend pas le trajet moins houleux, les moments de doutes moins intenses. Au travers de cette protagoniste, elle-même entre deux réalités, L’Annonce s’articule comme un récit de vie aux multiples temporalités, enchaînant les fragments de souvenirs, les échanges en groupe de parole et les contributions artistiques venant répondre à la maladie par l’art et le mouvement. C’est qu’au travers du collectif Dingdingdong, qui se réunit depuis 10 ans pour aider Alice à vivre cette maladie, les réflexions et les points de vue aident à construire, à se construire dans cette situation en refusant le misérabilisme et en acceptant ce qu’est – et ce que n’est pas – cette maladie.

Pour se séparer du silence et de cette “malédiction”, un mot lourd de sens et qui condamne la malade à de nombreux niveaux. Bruno Tracq rejoint tôt cette aventure, lui-même étant très proche de l’un des fondateurs du collectif.

“Le problème qu’Alice a rencontré avec l’annonce de sa maladie, c’est quelque chose de trop grand pour une seule personne”, explique Bruno Tracq. “La chose incroyable qu’elle a faite, c’est d’inviter des alliés à prendre place autour d’elle. Pour moi, c’est essentiel aujourd’hui de reconnaître ça, qu’il y a des problèmes dans nos vies qu’on ne peut pas résoudre seul. On a besoin de collectif.”

Une position qui transparaît pleinement dans le film. Au travers d’un dispositif cinématographique assumé et apparent, mêlant plans tableaux aussi colorés que finement travaillés et moments de discussion captés dans de doux travellings, il propose un écrin aux mots et aux émotions, un cocon dans lequel la protagoniste se livre sur ses peurs, ses doutes, mais aussi ses rencontres et ses nombreux moments de bonheur qui ponctuent son voyage dans le “huntingtonland”.

Ainsi, en se décalant par rapport à la maladie et en s'affranchissant de l’idée d’un progrès face à une maladie où les possibilités de limiter son évolution sont quasi inexistantes, Alice s’octroie la possibilité de vivre, trace son propre chemin.

“Il ne faut pas attendre que l’orage passe, il faut danser sous la pluie”, assène la protagoniste avec le sourire. Et cette maxime, qu’elle applique dans son quotidien, lui permet de se réapproprier sa propre puissance et de l’insuffler à ses proches.

Au travers de ce récit pluriel, qui fait cohabiter plusieurs temporalités et plusieurs versions d’Alice, Bruno Tracq explore notre rapport à la vie et notre capacité à nous réinventer. Une proposition qui dépasse celle de la maladie.

“[Ces versions] offrent une manière de rester acteur de nos existences, même dans l’incertitude des moments les plus sensibles. Et cela rend le monde plus excitant, plus profond et plus joyeux. Les chemins ne sont plus des destins auxquels il faut obéir, mais des champs à explorer. C’est cette ouverture à différents possibles que Dingdingdong et Alice font sans cesse émerger.”

Tout à propos de: