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En DVD : Babel d'Iñárritu

Publié le 13/07/2007 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD
En DVD : Babel d'Iñárritu

We are the World...

Il y a bien longtemps, dans une galaxie très lointaine… Nemrod, le «Roi-Chasseur » régnant sur les descendants de Noé, eut l’idée ambitieuse de construire à Babel (Babylone) une tour assez haute pour que son sommet atteigne le ciel (le trône de Dieu). Comme le disait Cubitus à Sémaphore à la page 3 de l’album Cubitus, quand tu nous tiens, la Terre vue de l’espace aurait enfin ressemblé à une immense pomme d’amour ! C’était sans compter sur les plans machiavéliques d’un mécontent. Gargamel ? Pas cette fois ! Contrairement à une rumeur affirmant que c’est les retards pris par les entrepreneurs, (les métiers du bâtiment ayant déjà à l’époque une réputation lamentable), c’est en fait Dieu Lui-Même qui, de mauvais poil, fit capoter les beaux desseins de Nemrod en introduisant sur le monde la « confusion » avec la diversité des langues. Dieu, d’humeur farceuse, punit les hommes pour leur audace en les confondant à travers leur moyen d’expression. Le mythe de la Tour de Babel met en scène des hommes qui essaient d’assouvir leur désir de gloire et de puissance alors qu’il leur est impossible de se détacher de leur essence : ils ne sont que des hommes, pas des dieux. (À l’exception notable de Tom Cruise...)


En multipliant les langues, Dieu divise les hommes et annihile chez eux toute ambition de dépassement (on peut encore s’en rendre compte aujourd’hui aux guichets de la Poste et lorsque l’on demande un renseignement aux employés du Media Markt de la Rue Neuve.) On recense ainsi, depuis le Moyen Age, plus de 1000 essais de nouvelles langues, parmi lesquelles le schtroumpf, le klingon et le néerlandais sont les plus farfelues.

En 2006, du haut des montagnes marocaines, deux enfants en possession d’un fusil de chasse jouent innocemment à « qui tire le plus loin ». Le gagnant est celui qui, par malchance, atteint d’une balle à l’épaule la pauvre Cate Blanchett, touriste américaine en voyage réparateur avec son Brad Pitt de mari à qui elle reproche sa fuite après la perte d’un bébé. Ce coup de fusil aura des répercussions aux quatre coins du globe pendant que le mari se démène pour trouver du secours : de la mésaventure mexicaine de la nanny du couple, aux errements post-pubères d’une jeune Japonaise sourde-muette Japonaise en quête d’amour, en passant par la chasse à l’homme dans les montagnes pour retrouver les coupables...

Tout comme des accidents de voiture étaient l’élément déclencheur des précédents films d’Iñarritu (Amores Perros et 21 Grams), ce coup de fusil va lier une poignée de personnages paumés, confus et qui devront se « retrouver ».  Iñarritu retrouve ici, pour la troisième fois consécutive, son fidèle scénariste Guillermo Arriaga (auteur également du fabuleux Trois Enterrements, de Tommy Lee Jones), spécialiste des récits fleuves et choraux, oubliant une fois de plus la simple chronologie des faits pour se concentrer davantage sur les affres de la communication humaine entre les races, entre les sexes, entre les générations, entre les jambes...Babel, tel le mythe qu’il illustre, est un film qui a divisé.

D’un côté, ceux qui furent touchés par l’interprétation, la réalisation virtuose, l’émotion quasiment palpable se dégageant d’un grand nombre de scènes, et, de l’autre, ceux qui n’ont vu dans le troisième opus d’Iñarritu qu’un essai terriblement pesant, misérabiliste et moralisateur, illustration des paroles lancées par le réalisateur dans le long making-of présenté ici sur la deuxième galette : « Les films ne peuvent pas changer le monde, mais peuvent nous aider à transcender nos vies en démolissant nos barrières intérieures et nous aider à communiquer. » We are the world, we are the children !
 
Il est clair que les cyniques n’aimeront pas Babel, le film et son réalisateur peuvent facilement être victimes de sarcasmes devant une sincérité un peu naïve et un côté donneur de leçon susceptible d’agacer. Des points de vue défendables, souvent exprimés dans la presse à la sortie du film mais auxquels ne souscrit pas une seconde l’auteur de ces lignes. Car Babel, en plus d’être une magistrale leçon de réalisation, est un GRAND film profondément humain et émouvant.

Ainsi, les séquences touchées par la grâce se succèdent : une éprouvante scène de night-club vue par les yeux de la jeune sourde-muette est un exemple parfait d’utilisation de la bande sonore. Sauvage, maîtrisée et anarchique, cette séquence est déjà entrée dans les annales, nous faisant éprouver de l’empathie envers l’adolescente sans le moindre verbiage, tout comme cette scène drôle et touchante où la jeune fille tente de séduire son dentiste embarrassé. Mais les meilleurs moments du film sont aussi ceux du calme avant la tempête : le baiser furtif et maladroit qu’Adriana Barrazza, la nanny quinquagénaire, échange avec un vieil amour de jeunesse, la fête de mariage explosive d’un jeune couple au Mexique, Cate Blanchett, gisant dans son sang, acceptant le hashish offert par une vieille marocaine, la recherche de réconfort de Rinko Kikuchi, se mettant à nu (au propre comme au figuré) dans les bras d’un inspecteur de police lui aussi brisé par la vie, la douleur du berger marocain face à l’immense bévue de ses deux fils, leur fuite en avant… 

Star ou pas star, chaque acteur nous livre ici la meilleure performance de sa carrière respective. Pitt arrive à nous faire oublier, le temps d’un film, son envahissant statut de surhomme, fantasme féminin par excellence qui à l’instar de  Clooney ou Hugues Dayez fait rêver nos filles et nos compagnes. Il n’est ici qu’un père de famille brisé par la tragédie, tour à tour repentant, en colère et en larmes, loin du dandy frimeur des Ocean’s Eleven. Adriana Barrazza nous brosse un beau portrait de femme vieillissante, dépassée par une malheureuse réaction en chaîne de drames qui vont la mener à sa perte.
Ces deux dernières ont été, à juste titre,  nommées à l’Oscar du meilleur second rôle féminin. Iñarritu, quant à lui, est reparti de Cannes avec le prix de la réalisation dans sa valise.

Etincelante, Rinko Kikuchi, la jeune Japonaise est LA révélation de l’année, apportant à un personnage qui, sur le papier, aurait pu être un cliché ambulant, un humour, une intelligence et une humanité rares chez les actrices de son âge. Rarement le désarroi adolescent aura trouvé plus belle illustration à l’écran.

Babel est en fin de compte un grand film attachant et humaniste, certes imparfait et parfois dur à encaisser, analysant les failles de ses personnages sans pour autant les juger. On n’apprend rien de neuf dans Babel, mais la manière dont Iñarritu délivre un constat alarmiste d’un monde qui n’a pas changé depuis le Roi Nemrod, un monde dans lequel la technologie a évolué au détriment de l’humanité, suffit amplement à faire passer un message qu’il est toujours bon de s’entendre rappeler : la communication n’est pas affaire de technologie, de distance ou de politique mais de dépassement de soi.
Côté bonus, le double DVD de Babel usurpe un peu son appellation « collector » même si l’on est en droit de penser que très souvent, trop de bonus tue les bonus. Ici, on va donc à l’essentiel avec un seul supplément mais quel supplément ! Un long et excellent making-of intitulé Common Ground  (Points Communs en v.f .) qui suit Iñarritu sur son tournage pendant 90 minutes. On le découvre extrêmement proche de son équipe et de ses acteurs, expliquant notamment le mythe de Babel à des enfants. On découvre un homme sincère, un réalisateur exigeant et attentif aux moindres détails. Voici enfin un documentaire qui change du tout-venant en matière de bonus où le plus souvent les traditionnels making-of sont uniquement orientés sur la promo. Tout comme le film, Common Ground a quelque chose à dire et le fait de bien belle manière. De la très belle ouvrage. Elle est Babel la vie ?

Babel de Alejandro Gonzalez Iñarritu 2006
Avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Rinko Kikuchi, Gael Garcia Bernal et Adriana Barrazza.
Distribution: Belgafilms

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