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Hommage à Christian Coppin

Publié le 08/11/2017 par Serge Meurant / Catégorie: Hommage

Un hommage collectif a été rendu à Christian Coppin lors de ses funérailles, le 1er septembre 2017. Il débutait ainsi : « Maître, magicien, sorcier blanc, ami, initiateur, passeur, mentor, conteur, Griot, nomade des savanes, vieux sage et fabricant d’ailes, chercheur de vie, rêveur de sens, passeur de son, chorégraphe et chef-d’orchestre de grillons aux crépuscules magiques… » Le lyrisme de ce texte résonnait dans les cœurs de ses nombreux amis, bondissait au-delà comme un hymne à la vie, célébrée par Christian jusqu’aux derniers jours.

Cinergie : Pendant la vingtaine d’années où je côtoyai Christian Coppin, au sein de l’atelier Graphoui, comme observateur des ateliers de production de la Communauté française, j’éprouvai le désir de mieux le connaître. Il m’attirait par le lyrisme de ses interventions, l’indépendance de son esprit, sa grande expérience du son. Je voyais en lui l’un des fondateurs de l’atelier, un maître de la transmission des connaissances à travers les générations. J’eus l’occasion de bénéficier de son accueil généreux pour la réalisation de l’enregistrement des traductions en russe par une amie Ludmila Krasnova de mes poèmes dédiés à ma mère, Elisabeth Ivanovsky.

Christian CoppinEric Dederen : Avant que je ne rencontre Christian Coppin en 1983- 84 , les ateliers que je menais avec des enfants, à Graphoui, aboutissaient à la réalisation de films muets, tournés d’abord en Super8, puis en 16 MM. Christian y ajouta de manière essentielle la dimension du son. Comme le soulignait en 1988, Michel Pion, responsable avec Patrick Quinet des Centres d’expression et de créativité au Ministère de la Communauté française :« C’est le son et les commentaires des enfants qui conduisent le film. L’image accompagne le son. » Ce qui était remarquable avec les enfants, c’est le fait que Christian ait immédiatement utilisé la perche pour la prise de son. Autant d’importance était d’emblée accordée à l’image et au son. On peut le voir, dans une séquence du film Le Monde des Spoks de Patrick Van Antwerpen, muni de son Nagra et sa perche, accompagner les mouvements des enfants.

Jacques Faton : Christian Coppin, passionné par le son, a apporté à l’atelier cette nouvelle dimension. Il créa un lieu consacré au son, un studio où il vécut pendant quarante ans. C’était un lieu de vie, une sorte de bulle dans laquelle il enregistrait, mais aussi un lieu d’échanges. Il y régnait avec une sorte de « paternalisme ». C’était un gourou. C’est comme cela que je vois sa position au sein de l’atelier. Il aimait parler de son expérience de fils de colon et de son rapport au Congo qui était certainement très important. Son accueil était magnifique. Ce que je retiens également de lui, c’est l’importance donnée à la parole dans un cinéma d’animation où le son ne revêtait pas une telle place. C’était nouveau et cela allait enrichir notre travail d’atelier.

Christian concevait la prise de son comme une chorégraphie. C’est une des premières choses qu’il disait à mes étudiants de l’ERG. Le son n’est pas seulement l’enregistrement d’une ambiance, mais c’est une sorte de « caméra à l’épaule » où l’on suit ce que l’on cherche à capter. Il en résulte une forme de chorégraphie par le déplacement des corps. Il maniait le micro comme une sorte de crayon, de pinceau qui trace un chemin dans l’espace.

Christian écrivait et composait. On entendait, chaque jour, à une certaine heure, ses compositions résonner dans les couloirs de l’atelier. Cela faisait partie de notre environnement. C’étaient des compositions très lyriques.

Cinergie : En a-t-on gardé traces ? Existe-t-il des enregistrements de ses musiques ?
Christian coppinE.D. : Oui, beaucoup. Les écritures se présentaient sous la forme de carnets très bien organisés, inventoriés. À Kinshasa, dans les ateliers que je menais avec lui, il regardait chaque soir ses carnets. Il y inscrivait le type de sons qu’il avait collectés, les dialogues, les informations reçues.
J.F. : Christian écrivait aussi des textes de méthodologie. Il ne souhaitait cependant pas en réaliser une synthèse. Il ne s’agissait pas de syllabus de cours, mais bien plutôt des récits de ses expériences, rédigés de manière très personnelle. Il excellait à donner confiance à l’autre dans sa capacité de création. Des dizaines de gens qui sont sortis de son laboratoire en témoignent. Il parvenait à donner une ampleur magique aux projets qui lui étaient soumis. Les auteurs qu’il forma sont trop nombreux pour les citer tous : Sacha Kulberg, Michel Bernard, Milena Bochet, Kika, Laurent Van Lancker, et récemment Lucie Duckerts-Antoine.
E .D. : Christian a créé, notamment, en 1980, la musique du premier spectacle d’Anne Teresa De Keersmaeker avant qu’elle(1) ne parte aux USA. Il collabora aussi avec Nicole Mossoux. Tous ces gens n’ont pas oublié cette relation forte. Son site www.erres.org donne accès à plus de 30 heures de compositions électro-acoustiques qui témoignent de ses qualités de compositeur.Fragment du texte d’Artur da Costa « Le silence des Pères » prononcé lors des funérailles de Christian.

J’ai connu Christian en 1973 à l’I.A.D. Il terminait ses études de cinéma. Des années plus tard, il a composé la musique de deux courts-métrages que j’avais réalisés.
À cette époque, on se voyait souvent, on parlait entre autres choses de nos origines. Christian était né au Congo et moi dans le pays voisin, l’Angola.

Il m’a proposé de faire un film sur le passé colonial, quand il était déjà membre de l’atelier Graphoui. Nous avons alors décidé de faire des recherches en ce qui concerne le Congo… Le film n’a pas été réalisé, chacun de nous avait été pris par d’autres activités, mais Christian avait fait un petit livre avec quelques photos acquises au Musée de Tervuren. Il lui avait donné le titre qui aurait dû être celui du film : « Le pèlerinage des adieux ».

Christian qui connaissait bien l’histoire du système colonial, se trouvait dans la situation de celui qui avait été arraché trop tôt à son enfance, dans une sorte de « temps perdu ». Il avait 14 ans quand il est arrivé en Belgique, venu du Congo.

En 1987 et 1988, Christian est allé au Congo, dans le cadre des activités de l’atelier Graphoui. Il avait ainsi retrouvé son pays natal… Eric qui avait alors travaillé avec lui dans l’atelier de cinéma d’animation qu’ils avaient installé à Kinshasa, m’a parlé de l’enthousiasme et de l’enchantement de Christian, de retour au pays qui l’avait vu naître et devenir un jeune adolescent.

L’amandier

L’audition à la Maison du Livre de Saint-Gilles du documentaire radiophonique de Lucie Duckerts-Antoine, produit par l’atelier Graphoui, ce 19 octobre, a été l’occasion pour l’auteure de rendre hommage à Christian Coppin. On lui doit la qualité sonore de l’évocation de l’atelier du peintre Arié Mandelbaum dont elle livre un portrait sensible et émouvant. Le peintre y confie son goût de vivre. On y entend les berceuses en yiddish que lui chantait sa mère, mais aussi le chant des oiseaux. On pénètre dans l’atelier vaste et sonore et je ne puis m’empêcher de songer à l’atelier-sonore de Christian à qui l’on doit la subtilité de cette évocation.



(1)« C’est à Mudra que la jeune danseuse propose da première œuvre intitulée Asch en 1980, sur des musiques de Serge Biran et Christian Coppin ( Philippe Guisgand in « Les fils d’un entrelacs sans fin. La danse dans l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker, Presses universitaires du Septentrion, 2007).

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