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Bernard De Dessus les Moustier raconté par ses proches

Publié le 08/03/2021 par Jean-Philippe Thiriart / Catégorie: Hommage

« Il trouvait l’ouverture où tous pensaient que c’était fermé »

Le producteur et professeur de réalisation né à Schaerbeek est décédé le 17 février 2021 à l’âge de 56 ans. Nous avons souhaité rendre hommage à cette personnalité attachante du cinéma belge, en donnant la parole à celles et ceux qui le connaissaient bien.

Diplômé de l’IAD en réalisation en 1987, promotion dont il était considéré par d’aucuns comme le surdoué, Bernard De Dessus les Moustier était d’abord un homme de terrain très investi. Comme un poisson dans l’eau sur un plateau, c’était un rouage essentiel dans la fabrication des films qu’il accompagnait. Il a commencé sa carrière en réalisant, dès 1985, soit avant même la fin de ses études, une dizaine d’émissions courtes Minute Papillon pour la RTBF. Il a ensuite œuvré comme régisseur, collaborant notamment à deux reprises avec Jaco Van Dormael (Toto le Héros et Le Huitième Jour). Longtemps directeur de production et assistant réalisateur, il s’est ensuite de plus en plus dirigé vers la production. À cheval sur la direction de production, il rendait vivants des projets impossibles à monter. C’était là sa marque de fabrique. Il était aussi un très grand défenseur des idées et des univers dans lesquels les réalisateurs voulaient aller.

 

Bernard De Dessus les Moustier ©  Sandrine David

 

Pragmatique, il était capable de s’adapter à n’importe quel impromptu et aux nombreuses contraintes de tournage, avec le souci de dégager le plus large consensus. Il prenait des décisions très complexes avec bon sens, bonhomie et intelligence, et rendait facile la vie de famille d’une équipe de tournage. Il projetait son aura très loin et auprès de tout le monde, du stagiaire au chef opérateur, créant du lien entre les professionnels du cinéma.

Bernard avait ce talent de réussir à s’emparer d’un projet pour lui donner vie. S’il était dans le concret, c’était aussi un rêveur. Sa force venait notamment du fait qu’il voyait le projet de film qui lui était présenté, qu’il rêvait déjà le film même quand il n’était pas encore écrit. C’était quelqu’un de très humain, qui croyait dans les rencontres. Force de la nature, il avait une capacité de travail hors du commun, véritable locomotive pour les équipes qu’il accompagnait.

Un lecteur assidu

Accompagné de son premier cercle professionnel chez Novak Prod (Johan Knudsen, Benoit Van Wambeke, Olivier Dubois et Vincent Canart) Bernard a permis à la maison de production bruxelloise bon nombre de contributions avec le Luxembourg (Les Films Fauves), la Suisse (Box) et la France (Tobina Film).

C’était aussi un lecteur très assidu des scénarios qu’il recevait, sur lesquels il donnait un retour à la fois rapide et précis. En 2017, il aidait Jeanne Brunfaut, directrice du Centre du Cinéma et de l’audiovisuel, à mettre en place le nouveau système d’aide aux productions légères. Bernard a siégé en Commission, en aide à la production documentaire, et a été nommé à la Commission du Cinéma en septembre 2020. Il était aussi présent au sein de la Commission du film en Suisse.

Depuis 2015, il produisait l’émission Tout le Baz’Art d’ Arte Belgique et de la RTBF. Récemment, il a été le directeur de production de Jumbo (2020) de Zoé Wittock, SpaceBoy (2021) d’Olivier Pairoux et avait commencé à œuvrer à ce même poste sur Temps Mort, d’Ève Duchemin. Il devait d’ailleurs rejoindre l’équipe du film le lendemain de son décès pour les repérages techniques.

 

Bernard De Dessus les Moustier © Isabelle Henrichs

Un enthousiasme contagieux

Sans cesse dans la transmission, Bernard était extrêmement généreux et savait mobiliser ses étudiants de l’IAD, où il enseignait depuis 1996. Diplomate, ses conseils professionnels permettaient de progresser. Il dirigeait notamment, avec Benoît Mariage, un atelier depuis plus de dix ans.

Bon vivant, grand cinéphile, Bernard avait une passion communicative pour le septième art. Quiconque croisait sa route tombait sous son charme et se liait presque instantanément d’amitié avec lui. Sillonnant la Belgique dans son break Volvo, c’était un voyageur au long cours. Chaque pas qu’il faisait pour aider à la fabrication du film était, en même temps, une rencontre humaine. Fidèle et loyal en amitié comme au travail, il faisait preuve d’un enthousiasme contagieux et faisait l’unanimité par sa tendresse, lui qui était si bienveillant pour toutes et tous.

Bernard De Dessus les Moustier a marqué énormément de gens et son décès représente une perte énorme. Il était une espèce de roc, permanent, qui donnait l’apparence de quelqu’un de très solide. Le perdre si subitement a déboussolé beaucoup de professionnels du cinéma belge pour qui il faisait figure de repère.


« Voici une dizaine d’années, Bernard avait pu emmener Michel Piccoli à la vision de travaux de fin d’études de l’IAD parmi le public, en toute discrétion, sans tambours ni trompettes ! L’acteur français avait fort apprécié ce moment. C’était aussi le meilleur ambassadeur de notre école aux Magritte du Cinéma. »
Etienne Baffrey, directeur de l’IAD

 

« Dans le cinéma, quand on prépare un film, on peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. On peut voir des problèmes partout ou alors voir chaque problème comme une ouverture vers une solution. Bernard avait cette capacité-là : celle de trouver l’ouverture là où tout le monde pensait que c’était fermé. »
Frédéric Fonteyne, réalisateur

 

« Il arrivait à voir chez les gens des choses que les autres ne voient pas. Il savait très bien évaluer si un projet tenait la route en termes de capacités budgétaires. Il a été d’un grand apport pour moi. »
Jeanne Brunfaut, directrice du Centre du Cinéma et de l’audiovisuel

 

« Bernard était continuellement avec nous sur le terrain, avec une énergie, une simplicité et une gentillesse incroyables. Il faisait partie de ces personnes qui t’élèvent, qui te poussent à donner le meilleur de toi-même. Bernard fait partie de mes petits soleils, de ces gens qui te remettent à bloc. Quand je suis dans une situation inextricable, je me dis : " Que ferait Bernard dans cette situation-là ? ". »
Xavier Seron, réalisateur

 

« Dans ce monde un peu dur parfois, Bernard était quelqu’un qui faisait du bien. Il affrontait les choses. Il a ainsi permis d’avoir le port d’Anvers pour quasiment rien. Il prenait les projets à bras le corps. Et il bichonnait sa compagne Joëlle et leurs trois enfants. »
Olivier Dubois, producteur associé (Novak Prod)

 

« Bernard était un de mes plus vieux amis. Son film de fin d’études était incroyablement ambitieux : une histoire de science-fiction en costumes avec des chariots poussés inlassablement dans les Fagnes, et une affiche signée Schuiten. Rien ne l’arrêtait ! »
Johan Knudsen, producteur associé (Novak Prod) et professeur de réalisation à l’IAD

 

« J’étais toujours rassuré avec ce compagnon de route infernal. Sa carrure jouait beaucoup. Quand je l’ai rencontré, j’ai tout de suite pensé à Bud Spencer, à Capitaine Malabar. Et, très vite, à Salut l’ami, adieu le trésor. J’ai gagné un ami mais j’ai perdu mon trésor. Avec Bernard, on avait un ami et le trésor, c’était l’ambiance qu’il mettait sur un tournage. On se marrait et c’était bon d’être dans le froid avec lui le matin parce qu’il vous réchauffait. »
François Cognard, producteur (Tobina Film - France)

 

« C’était un pédagogue exceptionnel, qui disait les choses de telle manière que tout était recevable. Une boule de tendresse et de bienveillance, un gros ours physiquement très solide. Bernard était un océan de bienveillance dans cette mer parfois déchaînée qu’est le cinéma. Il faisait du bien ! »
Benoît Mariage, réalisateur et professeur de réalisation à l’IAD

 

« Il avait ce talent formidable de créer des équipes de tournage. Il a été pour moi une des personnes qui peuvent faire cet escalier entre l’école et le professionnel. Dans une équipe, il mettait ensemble des super pros et des jeunes qui sortaient de l’école. Quand on se voyait, sa première phrase, quasiment avant de me dire bonjour, était " Quand est-ce qu’on tourne ? ". C’était aussi sa dernière, quand il me quittait. »
Joël Franka, réalisateur

 

« Il apprenait beaucoup aux réalisateurs et aux assistants à se former et à gérer la vie professionnelle et la vie de plateau. Il arrivait à gérer les conflits de manière très pragmatique et très humaine. Les gens qui l’ont eu comme professeur, à l’IAD, ont vraiment quelque chose en commun grâce à lui. »
Raphaël Balboni, réalisateur

 

« J’avais une confiance aveugle en lui. On a toujours l’impression qu’il va débarquer sur le plateau avec sa chemise à fleurs. C’est une vraie perte pour le monde du cinéma. C’était un véritable transmetteur. Il voyait tout le temps le meilleur de chacun et donnait sa chance à tout le monde. »
Annabella Nezri, productrice (Kwassa Films).

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