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Claude François et le Gang de Boitsfort. Extrait de "100 ans de cinéma à WB" par Mirko Drago Popovitch

Publié le 09/12/2020 / Catégorie: Hommage

Claude est né en 1940 à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani) et a vécu jusqu’à l’âge de 14 ans au Congo. Le papa était entomologiste de formation, mais assurait la fonction de Commissaire de district. Arrivé en Belgique, il s’inscrit à la Cambre en section cinéma (ENSAAD). C’est une déception, dans le sens où le responsable de cette nouvelle orientation n’est autre que Luc Haesaerts, un homme brillant mais très occupé. En ce temps-là, la prestigieuse école était dirigée par un architecte et, face à la frustration des futurs cinéastes d’être livrés à eux-mêmes, il eût cette réponse sublime : Vous êtes des artistes, débrouillez-vous !

L’enfant du Congo appliquera alors une devise populaire à Kinshasa, inspirée de l’Article 15 de la Constitution, érigée sous Mobutu. Celle-ci ne contenait que quatorze points, l’humour kinois en a ajouté un quinzième : Débrouille-toi ! Il va de ce fait apprendre le cinéma en le pratiquant. Claude devient assistant de Frédéric Geilfus qui, en 1965, s’activait à filmer la démolition de la Maison du Peuple de Bruxelles. Ce film ne sera achevé qu’en 1978 et s’intitulera Victor Horta, la Maison du Peuple (78’). Il se souvient : … C’était la ruée, des gens venaient grapiller ici une serrure, là une pierre taillée. Des pétitions avaient été signées par beaucoup de gens dont des personnalités prestigieuses, mais tout ce que le Ministre de l’époque a trouvé à dire était : Ce n’est quand même pas le Parthénon !

Autodidacte du cinéma, il affine sa technique en réalisant des films industriels. Ce créneau difficile à séduire, a ses propres exigences de qualité et d’efficacité. Comme disait mon père : ça passe ou ça casse !

Les productions de Claude François sont subtiles. Pour La Mise en abîme (1974), un court métrage de fiction que Marcel Marien considérait comme surréaliste, Claude installe Roger Van Hool dans la salle du Musée d’Art Moderne. Ce visiteur déroutant commet des retouches subliminales sur des œuvres exposées. Pour Une journée ordinaire (court, 2002), tourné aux Musées Royaux des Beaux-Arts, il inverse la logique muséale en installant un système de mini-caméras autour d’une toile. Ainsi, il simule le regard d’un personnage du tableau qui, à son tour, observe le public, inconscient du fait d’être à son tour regardé. La réalisation est remarquable, l’image est fignolée, les codes sont clairs, gros plans du tableau en couleurs et visiteurs en sépia. La bande-son complète les détours filmiques.

En lisant les synopsis de leurs réalisations personnelles, je prends conscience de l’importance du travail de ces auteurs-documentalistes capables de porter un regard critique et poétique sur les créations humaines, qu’elles soient écrites, construites, sculptées, peintes, … La plupart des grandes œuvres restent. En sait-on assez sur ceux qui les ont fait naître ? Avec le temps qui passe, on ne peut que se lamenter de ne pas avoir pointé une caméra sur des personnes remarquables, sur des événements rares.

Claude fait partie des cinéastes dont le regard diverge des sujets conventionnels, de l’attendu. Il explore les territoires de la création qui poussent les limites de l’expression artistique et rendent la Belgique drôlement impertinente. Pour le Pavillon des Passions Humaines (13’, 1989), une construction de Victor Horta qui enferme le bas relief grand format de Jef Lambeaux, le cinéaste en vient à nous amuser du fait que cette oeuvre ait été jugée scandaleuse, pornographique. La réalité veut que cette réalisation monumentale est, la plupart du temps, cachée au public. Et, plus drôle, on apprend qu’en 1978 elle a été offerte par le Roi Baudouin au royaume conservateur et islamiste d’Arabie Saoudite. L’approche filmique est originale par le biais d’une fiction qui, volontairement, nous circonscrit la vision du tableau, des visiteurs: un aveugle, un critique, un historien et d’autres nous interpellent sur la débauche des passions humaines.

Dans une autre réalisation, Le Palais des merveilles (12’, 1981), il piétine physiquement et joyeusement l’ouvrage conçu par Eugène Pollaert (architecte du Palais de Justice) et flirte allègrement avec les derniers esprits du surréalisme: de Jacques Wergifosse à Roger van de Wouwer en passant par son ami Marcel Mariën.

Claude François est un réalisateur-jongleur qui manie aussi facilement les textes, les voix, les mouvements de la caméra, les insertions graphiques, animées, et les bruitages. Son documentaire intitulé Le désordre alphabétique (53’, 2012) est captivant. Il mérite d’être diffusé et discuté dans les écoles, tant sur le fond que sur la forme. A la 35ème minute du film, un détour de 10’ nous ramène à notre verte commune. Dans les années 60, à Watermael-Boitsfort, un cénacle d’artistes, se revendiquant du surréalisme et exerçant dans différentes disciplines, se réunissaient à l’initiative de Tom Gutt (1941-2002). Ils s’appelaient Marc Moulin, Gilles Brenta, Claudine Jamagne, Yves Bossut, Jean Wallenborn, Michel Thyrion, Claude Galand, André Stas … L’écrivain et poète surréaliste Louis Scutenaire (1905-1987) avait défini avec un certain humour ce groupe comme étant Le Gang de Boitsfort. Ces gens hors du commun organisaient toutes sortes d’activités, expositions, éditions et animations souvent non-conformistes, voire impertinentes, parfois polémiques. Leurs publications portaient des appellations biscornues : Le Vocatif, Vendonah, Après Dieu, …

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Septembre 2019, j’essaye en vain de clôturer l’écriture de ce livre. Je dois retrouver Claude François. Je le rencontre sur la terrasse du café Le Roi Albert, place Keym, là où j’ai interviewé une bonne trentaine de cinéastes et comédiens. L’homme est passionnant, il évoque des noms qui me sont familiers, me conte dix anecdotes sur l’histoire des coulisses du cinéma et des arts, on parle de Roger Van Hool, d’Alexandre von Sivers, de Frédéric Latin, d’Harry Cleven, de Robby Comblain, de Marcel Mariën ...

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Anthologie vivante du surréalisme, mais pas uniquement, Claude m’explique sa prochaine production Silencieuses, un film poème, une rencontre sur les statues bruxelloises et leurs petits mystères. J’en ai étudié beaucoup, … Trop pour un seul film, le cinéma ce sont toujours des choix et cela fait mal à la passion

J’ose une question : Le monument aux aviateurs situé au croisement de l’avenue Franklin Roosevelt et de l’avenue du Congo est dans ta sélection ?

Lui : Oui et non, il est intéressant, mais je ne vois pas comment l’appréhender en dehors de sa symbolique.

Moi : Heu ! … C’est ma grand-mère qui a posé, début des années 20 pour Pierre de Soete, le sculpteur, j’ai quelques documents

La suite, c’est l’étonnement de Claude à qui je raconte que Billy, mon aïeule, était mannequin et sportive. Le 22 juillet 1924, Lisette Petré a arraché le record du monde du lancer du disque (28m32). D’accord, cette performance a été battue deux semaines plus tard à Londres par la Française Morris et les sportives de l’époque ne couraient pas les rues, quoique !

 

Billy Monument aux aviateurs Monument éclairé par Michel Baudour

 

Des jours passent, Claude m’appelle pour m’informer qu’il souhaite inclure l’histoire de Billy dans son film. Je rejoins le duo un soir pour aider à installer le travelling et les éclairages type Led sur la silhouette de grand-maman.

 

Toujours bien entouré, Claude François s’associe à Gilles Brenta (1943-2017), un artiste installé au Dries, à Boitsfort, qui fut élève de Jo Delahaut à La Cambre et qui, dès 1973, s’était lié d’amitié avec Tom Gutt, le boutefeu du Gang de Boitsfort. Par cette complicité, il rejoint la mouvance surréaliste, fréquente Louis Scutenaire, Marcel Mariën et collabore à divers films qui posent un regard critique sur l’esprit artistique du moment.

 

Mirko Drago Popovitch

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