La collection Made in Belgium remet au goût du jour un artiste anversois oublié, Luc Monheim. Après Exit-Exil et Deus lo volt l’édition DVD de son premier long métrage, La Gueule de bois, permet de découvrir un cinéaste au tempérament fort qui n’hésite jamais à confronter son spectateur.
La Gueule de bois (Verloren maandag) de Luc Monheim - Belfilm
La grande ivresse
Si Luc Monheim s’exprimait de manière frontale dans ses peintures, et surtout ses sculptures, il aimait aussi raconter des histoires… Histoires malheureuses souvent, brutales toujours, focalisées sur les exclus, qui, inexorablement, connaîtront une descente aux enfers. Dès ce premier film donc, Luc Monheim plonge tête baissée dans le royaume éthylique de quelques paumés abonnés aux bistrots et aux centres d’accueil sociaux.
Ces personnages ne sont autres que les symptômes manifestes de la folie pathogène de la ville, en l’occurrence ici, Anvers, aveuglante le jour, gluante la nuit. C’est dans cet univers fragile des déclassés que débarque Tomasz, réfugié venu de Pologne. L’ouverture du film nous fait d’abord croire à un film politique, avec la fuite d’opposants, le poste de garde, la neige et les fils de fer barbelés, mais dès l’arrivée de Tomasz à Anvers, c’est un tout autre film qui s’ouvre, ou bien plutôt plusieurs, oscillant entre le mélodrame, le thriller et le film social. Car Tomasz tombe sur une bande de marginaux que la boisson détruit, des laissés pour compte pris au piège comme des poissons dans un aquarium rempli de gin et vin blanc. Parmi eux, Scicio qui peut communiquer avec Tomasz en allemand, devient un frère, un frère de comptoir, entraînant le jeune Polonais dans la spirale de l’ivresse. Tomasz et Scicio : un duo aussi burlesque que tragique.
Mais Tomasz est avant tout la figure de l’obsession. Il ne veut qu’une chose, retrouver la femme qui l’a aidé à relever sa vieille mère dans la neige lors de leur fuite de Pologne. Cette femme à peine entrevue devient, dans son esprit, la salvatrice de son âme tout entière, l’image de l’amour absolu. À la manière de Vertigo d’Alfred Hitchcock, l’obsession de Tomasz apparaît plus clairement encore lorsqu’il retrouve une jeune femme ressemblant étrangement à son aimée. À chacun son rosebud ou ses sueurs froides… Ici, la blonde Lenka apparaît comme un fantôme qui vient hanter l’esprit du jeune homme perturbé. Et l’on comprend alors cette exposition du drame qui joue comme une scène traumatique précipitant le héros dans la folie destructrice.
La belle gueule et le jeu habité de Roger Van Hool, déjà croisé chez Delvaux (Rendez-vous à Bray), Cavalier ou encore Truffaut (La femme d'à côté), apporte une dimension quasi christique à ce personnage de damné.
Lui, qui semble, au départ vivre dans un équilibre convenable, bascule, à la suite d’une série d’événements et de mauvaises rencontres, dans un malaise qui ne le quittera plus, et le poussera à agir exclusivement en fonction de son obsession, jusqu’au geste fatal et à ses conséquences tragiques.
La photographie souligne l’aspect sale, sordide et le film adopte une esthétique conforme à cette volonté de dépeindre une réalité brute et laide. La caméra, hoquetante, les suit dans leurs déplacements laborieux et sans buts.Aucune question de rédemption, de bien ou de mal dans cette errance. Luc Monheim donne une vision du monde désabusée, un monde dans lequel ce sont toujours les indigents qui trinquent, considérés par la société comme les affreux, sales et méchants.
Bonus
You gotta stop de Roger Hullaert -1967 - 18’
La Gueule de bois (Verloren maandag) de Luc Monheim, Belgique - Pays-Bas -1973 – 84'
Images : Fred Tammes
Avec Roger Van Hool, Jan Decleir, Monique Van De Ven
Production : Sixpence Filmproductions, Jaap Van Rij Filmproductions (Amsterdam)