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Rashid, l’enfant de Sinjar de Jasna Krajinovic

Publié le 07/05/2025 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

C’est au cœur du nord-ouest de l’Irak, près de la frontière syrienne, à Sinjar, que la réalisatrice d’origine slovène, Jasna Krajinovic a posé sa caméra pour son dernier film sélectionné dans la Compétition Grand Angle au festival Visions du Réel. Diplômée de l’INSAS en 1999, elle compte plusieurs documentaires à son actif tels que Deux sœurs (2010), Un été avec Anton (2013), La Chambre vide (2016) dans lequel elle aborde la question de l’endoctrinement et l’engagement des jeunes au combat. Produit par Hélicotronc et coproduit par le CBA, Dérives, Agat Films & Ex Nihilo, Rashid, l’enfant de Sinjar met en scène Rashid, un jeune yézidi qui rêve d’un meilleur avenir.

Rashid, l’enfant de Sinjar de Jasna Krajinovic

 

Le 3 août 2014, 35.000 yézidis ont dû quitter leur bastion Sinjar persécutés par les djihadistes de l’État islamique en Irak. Cette communauté kurdophone a toujours été mal considérée par  l’islam et le christianisme qui ont, depuis toujours, une interprétation erronée de leur culte. Ces persécutions sont toujours d’actualité à Sinjar où de nombreuses familles sont sans nouvelles de certains proches prisonniers de Daesh depuis des années. Ce génocide a laissé des traces aujourd’hui. Les hommes ont été fusillés, les femmes et jeunes filles vendues ou violées, les jeunes hommes convertis de force à l’islam et enrôlés comme enfants soldats dans les rangs de Daesh.

Le jeune Rashid, protagoniste du film de Jasna Krajinovic, porte en lui les stigmates de cette persécution contre sa communauté. Enfermé dans les prisons de Daesh alors qu’il était enfant, Rashid a finalement retrouvé sa famille à Sinjar. Aux portes de l’âge adulte, Rashid se questionne sur son avenir dans les ruines d’une ville qui n’en finit pas de s’écrouler. Pour s’approcher au plus près des préoccupations qui hantent le jeune homme, Jasna Krajinovic suit son héros de très près et sous tous les angles. Elle s’immisce dans l’intimité d’une famille, dans les liens étroits entre ses différents membres.

Rashid ne va plus à l’école, il travaille dans la boulangerie familiale, il traîne les rues avec ses amis de toujours, fait des selfies, sourire furtif, devant les tas de briques d’une maison détruite. Rashid attend sa petite sœur qui est toujours prisonnière de Daesh, depuis presque dix années. La beauté de ce portrait, c’est que derrière Rashid, il y a toute une communauté insécurisée au quotidien, une communauté toujours aux aguets, jamais tranquille. Dans ce cas, comment envisager un avenir serein sinon en partant loin ? Mais même loin, ils seront toujours menacés.

Il y a quelque chose de très touchant dans ce personnage qui oscille entre l’adolescence et l’âge adulte. Son visage est toujours recouvert d’acné, ses cheveux épais et roux incoiffables font des vagues comme les ados d’ici, il s’apprête, se sape, flirte, fume, déambule en vain. Mais, derrière ces apparences, il y a aussi un petit garçon qui sommeille, couché sur les jupons de sa grand-mère, un petit garçon qui pleure quand il rend hommage à sa petite sœur disparue, un petit garçon qui n’ose plus trop regarder en arrière. Ce n’est pas une vie cette vie-là. Et le film montre bien les difficultés de Rashid, mais aussi des jeunes gravitant autour de lui qui ne trouvent ni une place chez eux ni une place dans le monde. Toujours à l’affût, ils ne peuvent pas faire de plan pour la suite.

Le film montre aussi une ville désolée, une ville où il ne fait pas bon se promener avec une caméra, une ville où les chants de ces enfants perdus ricochent sur les maisons bombardées.

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