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Regards de Paolo Zagaglia

Publié le 15/01/2012 par Edith Mahieux / Catégorie: Critique

Chroniques de comptoir
 

Paolo Zagaglia a plus d’une corde à son arc. Poète, dramaturge, réalisateur pour la télévision, c’est aujourd’hui au long métrage qu’il donne tout de lui-même avec Regards, son premier film de fiction. La province de Liège où se déroule le film souffre encore des séquelles de la post-industrialisation. Les ouvriers des usines ne vont plus prendre de verre au café de la Heuse. Avec Regards, Paolo Zagaglia leur rend hommage, dresse le portrait de ceux ou celles que les années ont abîmés.

scène du film Regards de Paolo Zagaglia« Me voici dans ce café comme tous les jours. C’est ici que je me ressource, que je me fortifie. C’est ici que j’ai appris la vie », nous adresse en voix-off un vieil homme à l’allure de poète. Au seuil de sa vie, le vétéran du quartier va boire son dernier petit blanc chez Josette. En voyant le film, on imagine le réalisateur à l’image de son acteur principal, Jean-Louis Sbille : doux, patient et attentif. Ce fin observateur scrute le visage de chaque habitué dans l’espoir d’y deviner ses pensées les plus profondes. Si certaines lui résistent, comme celles de l’homme à la caméra, il ira lui parler pour mieux les saisir.

Près de la porte, il y a Rob, le chanteur à la gloire passée que même la bière n’arrive plus à inspirer. La jolie Madeleine, collectionneuse des histoires sans lendemain, confie à Josette au comptoir, que cette fois-ci, c’est le bon ! Mais une fois de plus, l’homme est beau parleur et la naïveté de la jeune fille transperce l’écran. À cette autre table, s’assoient des amants déçus qui ne demandent qu’à se retrouver, et là-bas, au fond, deux femmes d’âge mûr se rappellent qu’elles n’ont pas su retenir l’homme qu’elles ont partagé. Les clients se succèdent, certains restent plus longtemps que d’autres - comme Arlette, la sœur de la tenancière, condamnée à patienter à la même place depuis son accident vasculaire cérébral. Derrière ce corps immobile, son cœur continue pourtant à battre. Privée de parole, elle ne pourra plus jamais avouer au vieux poète qu’elle l’aime depuis des années. Le réalisateur lui offrira une douce compensation : lorsque celui qu’elle attend chaque jour au café mettra fin à ses jours se sachant condamné par un cancer incurable, la mort délivrera Arlette, elle aussi. Et elle s’en ira, bercée par l’image d’un dernier tango avec celui qu’elle a tant aimé.

Regards de Paolo ZagagliaRegards veut toucher au plus près de l’existence, et les acteurs participent tous avec brio à cette approche documentaire. La tendresse ne se résume pas au doux regard que porte le réalisateur sur les clients que nous côtoyons pendant près d’1h20. Elle s’exprime aussi dans la simplicité avec laquelle le réalisateur envisage la vie – un tissu de rencontres au fil desquelles les destins se croisent et se refont. Malgré la gravité de certains propos et une souffrance palpable, une impression de légèreté flotte à la sortie de ce film. Hors du bistrot, la vie continue.

Paolo Zagaglia a passé deux ans sur le projet. Avec 7000 euros, une équipe bénévole, et 9 jours de tournage, il est allé au bout de son rêve. Bien sûr, le manque de temps et de moyens y sont perceptibles (une perche oubliée ici, les séquences chez les enfants du vieux monsieur peu soignées là), mais une initiative aussi téméraire se doit d’être soulignée. Rien n’empêche un artiste de créer, Zagaglia nous montre l’exemple. Et bien que sa vue menace de lui manquer, ce qui le conduirait à interrompre son aventure cinématographique, le réalisateur verviétois aura relevé à temps son pari le plus fou.

 

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