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Rêve Kakudji d’Ibbe Daniels et Koen Vidal

Publié le 15/09/2013 par Adèle Cohen / Catégorie: Critique

Un portrait en creux

Il est jeune, il est black et il chante, la tête remplie de rêves. Il a quitté son Congo natal pour venir chalouper dans les rues de Paris, sa crinière de lion en liberté. Serge Kakudji n’est ni rappeur, ni B Boy, même s’il lui arrive, seul dans sa chambre, de se déhancher devant les clips de MTV. Mais entre Purcell ou Monteverdi et Eminem, Serge Kakudji n’hésite pas… Son truc, c’est la musique baroque, l’opéra quoi.

Rêve Kakudji d’Ibbe Daniels et Koen Vidal

Entre Paris, Madrid, Turin, Kinshasa et Lubumbashi, Ibbe Daniels et Koen Vidal suivent le chemin singulier que trace, depuis de nombreuses années, le chanteur lyrique Serge Kakudji. Né à Kolwezi, au Congo en 1989, il choisit son destin à l’âge de 6 ans, médusé devant un opéra qu’il découvre sur un écran de télévision. C’est ainsi qu’un an plus tard, Serge intègre un chœur d’enfants à Lubumbashi où il est initié à la technique vocale.

Filmé ici entre 2011 et 2012, Serge est étudiant au conservatoire de Saint-Maur-des-Fossés dans le Val de Marne, ce qui ne l’empêche pas, tout étudiant qu’il est, de participer à des productions en Europe.

Talent incomparable ou curiosité exotique ? Un peu des deux sans doute.Il faut avouer que l’on ne s’attend pas à voir émerger d’un tel physique, une voix aigue de haute-contre : voix rare et considérée comme bizarre, il y a encore 15 ans, mais qui depuis, prend de plus en plus de place dans le monde de l’opéra.

Focalisé sur son héros plus que sur le monde de la musique, la réalisatrice colle au corps de ce personnage captivant alliant avec une cohérence désarmante, ambition et innocence. L’objet de fascination d’Ibbe Daniels, c’est bel et bien ce corps d’où émerge cette voix. Le corps vivant dont tous les sens sont ici captés (regards, odeurs, saveurs, bruits et mots). Le corps maîtrisé en quête de perfection cherchant, sans relâche, jusqu’aux limites, les meilleures notes, les accords les plus justes. La cinéaste mêle donc des images très graphiques de son quotidien à de longues séquences lyriques de répétitions et de représentations. L’éloge lyrique atteint son apothéose dans les séquences filmées au Congo où le jeune homme, de retour dans son pays d’origine, interprète devant la communauté un chant chrétien entouré d’un chœur d’enfants. Une scène cédant au folklore, sans doute trop insistante, mais saisissante d’émotion et que le spectateur traverse un peu avec un plaisir coupable.


Mais Rêve Kakudji est avant tout le portrait en creux d’un homme qui, à cause de son désir, ne peut plus être chez lui nulle part. Congolais en Europe dans un milieu de blancs élitistes - il faut entendre le metteur en scène Krzysztof Warlikowski parler du côté « primitif » de Serge avant de se reprendre, gêné -, étranger au sein d’un cercle familial ultra soudé, Serge traîne sa solitude et son étrangeté de l’Europe à l’Afrique. La caméra capte longuement ces moments en isolant le personnage dans le cadre au milieu de la foule. Et ce sentiment d’étrangeté poursuit tout le film, laissant le spectateur envahi de questions. Quel chemin a t-il poursuivi et comment est-il arrivé là ? Quel est ce lien visiblement financier qui relie le jeune homme avec la cantatrice américaine Laura Claycomb ? Quelle est son origine sociale ? Autant de questions qui resteront sans réponses comme si Ibbe Daniels voulait se débarrasser de la réalité pour nous plonger dans un rêve.

Les images superbes de Thomas Fadeux nous emportent elles aussi au cœur d’un rêve, un rêve que l’on aurait parfois aimé moins beau et scénaristiquement plus solide.

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