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Véronique Jadin et Alex Vizorek au BIFFF

Publié le 19/09/2022 par Malko Douglas Tolley et Vinnie Ky-Maka / Catégorie: Entrevue

Après avoir remporté le Grand Prix du Jury avec En Fanfare (2005) au Brussels Short Film Festival, Véronique Jadin a réalisé plusieurs courts-métrages où l’on perçoit parfaitement son humour engagé. Après le documentaire On est loin d’avoir fini (2014), son premier long métrage de fiction diffusé au BIFFF 2022 (hors compétition) est une comédie caustique croustillante qui dénonce les dérives sur les lieux de travail. L’employée du mois (2021) met en scène une secrétaire interprétée avec brio par Jasmina Douieb.
Également présidente du jury international du BIFFF 2022 en compagnie de Abdelkrim Qissi, Xavier Palud et la légende japonaise Ryhuei Kitamura, Cinergie est allée à sa rencontre et de celle du célèbre comédien, humoriste et animateur belge Alex Vizorek, présent dans le casting du film. Cette rencontre a permis d’aborder son expérience en tant que jurée au BIFFF mais également l’engouement inattendu des fans de cinéma de genre pour son premier long métrage qui est probablement l’une des meilleures comédies noires de l’année.

Cinergie : Que représente le BIFFF pour vous ?

Véronique Jadin : Le BIFFF est un festival que j’aime beaucoup. Je l’ai découvert par le biais de mon amoureux, il y a déjà 14 ans. C'est génial. C'est la meilleure ambiance de festival de Bruxelles, de Belgique et, là je reviens du Canada, peut-être bien du monde sur le film de genre.

 

C. : Vous avez intégré le prestigieux jury international du BIFFF (qui a depuis décerné le Corbeau d'or au film Vesper) en compagnie de Abdelkrim Qissi (Le Grand Tournoi, Full Contact, Moloss), Ryuhei Kitamura (Versus, Azumi, The Price We Pay) et Xavier Palud (The Eye, Intrusion). Que retirez-vous de cette expérience ? 

Véronique Jadin : Le président du jury, Kitamura, a été fait chevalier de l'ordre du Corbeau. Il a proposé qu'on essaie de faire un film à sketches avec des contraintes. Ce fut vraiment une superbe expérience. C'était très sympa. Si ça se trouve, on va aller plus loin dans notre collaboration. 

 

C. : Quels sont vos coups de cœur du festival ? 

Véronique Jadin : J'ai beaucoup aimé l'originalité du deuxième long-métrage de Léa Mysius, Les Cinq diables (2022), avec Adèle Exarchopoulos. J'ai raté Mad Heidi (2022) de Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein mais apparemment il s'agissait vraiment d'une très grosse séance du festival (Prix du Public 2022). J'ai également vraiment beaucoup aimé le film The Silent Night (2022) de Camille Griffin avec Keira Knightley et toute sa bande. 

Alex VizorekMais ils étaient tous dans ta sélection ces films ? Comment peux-tu juger un film si tu ne l'as pas vu (par rapport à Mad Heidi) ? 

Véronique Jadin: (rires) Non mais le BIFFF, c'est un festival de passionnés. On ne se limite pas aux films de sa sélection. J'ai vu plus de films que ma sélection.  

 

C.: Le cinéma de genre n'a pas toujours été valorisé par le milieu professionnel du cinéma francophone. C'est de plus en plus le cas avec une augmentation significative des productions belges qui osent aborder le cinéma d'horreur ou la science-fiction. Comment expliquer ce renouveau du cinéma de genre en Belgique ?  

Véronique Jadin Les frères Dardenne sont ce qui est arrivé de mieux au cinéma belge. Mais, en même temps, les gens se sont engouffrés dans la brèche pour faire pareil. Il aurait peut-être fallu se dire qu'ils sont les meilleurs de leur catégorie. Je l'ai également vécu avec des projets de comédies décalées. Déjà, c'est compliqué à lire. De l'humour raté, c'est dramatique. Un drame raté, c'est triste. Une comédie ratée, c'est épouvantable. Cela rend les commissions frileuses et je le comprends. 

Alex Vizorek : Parfois l'humour vient d'ailleurs que de la lecture du scénario et des textes. Tu lis et tu ne comprends pas que la réalisatrice sait que ça va être très marrant au final. Parfois en partant du montage et jusqu'au moment où j'ai vu le film (L'employé du mois), j'étais incapable de dire si c'était une comédie ou pas. Je suis allé voir la projection avec ma mère et je ne savais pas dire avec certitude que le film serait drôle. Véronique en a fait un vrai objet de drôlerie. Ma mère a beaucoup ri. 

 

C. : L'employé du mois est effectivement à l'affiche d'un festival de cinéma fantastique et de genre. En quoi ce film répond-il aux critères d'un festival de genre ? 

Véronique Jadin : C'est plus une comédie avec un peu de sang mais, visiblement, puisque nous sommes appelés dans de nombreux festivals de genre à travers le monde, il faut croire que le côté horrifique est plus important que ce que je pensais. On est quand même à l'affiche du Fifigrot, le festival de Grosland à Toulouse dans deux semaines et ça me rend très contente. La présence de mon film en festival de genre, ce n'est pas vraiment moi qui l'ai décidé. Mais visiblement ça plait. 

 

C. : Comment s'est passée votre collaboration sur ce film? 
Alex VizorekVéronique m'a envoyé le scénario. Je ne sais pas comment elle a obtenu mon adresse mail. 

Véronique Jadin: Par le TTO, le théâtre de la Toison d'Or (un autre temple du rire à Bruxelles). 

Alex VizorekCe n'est donc pas passé par des agents à la parisienne. Nous nous sommes rencontrés. Elle m'a expliqué ce que j'avais lu. La drôlerie, je la voyais mais j'avais besoin d'avoir son avis. Donc, elle m'a expliqué qu'on était un peu entre Thelma et Louise et The Office. J'avais un rôle de gros con. Et ça, elle avait directement pressenti que c'était ma grande spécialité. Ensuite, il y a eu une sorte de confiance presque instinctive avec les risques que cela comporte. Je suis ravi d'avoir fait confiance. 

Véronique Jadin : J'étais super contente que tu dises « oui » très vite. Ensuite, j'ai lu que tu ne disais jamais « non ». Alors, je me suis demandée quoi. 

Alex Vizorek : Au cinéma, ce n'est pas faux. Au théâtre, je dis presque toujours « non ». C'est vrai que je dis assez vite « oui », mais il faut que les gens aient envie de me choisir. Je n'ai pas non plus besoin de courir les films. Je suis très heureux sur scène et, au cinéma, c'est plus pour répondre à une attente ou une envie. Véronique l'a eue avec moi. 

 

C. Ce film rappelle toute la mouvance caustique et satirique typique de l'humour britannique. Qu'est-ce qui vous a poussé à sortir de votre zone de confort et à vous orienter vers un type de réalisation qui s'éloigne quand même sensiblement de vos projets précédents, même si l'humour reste bien évidemment central dans la plupart de vos projets ? 

Véronique Jadin : Je pense plutôt que j'ai trouvé ma zone de confort plutôt que d'en être sortie. C'est sûr que le cinéma anglais, j'adore. Même le cinéma social car en fait il y a du social dans ce film, même si c'est sous l'angle de la comédie. Si je dois citer un film, ce serait Sightseers de Ben Weathley. Ce film est également connu sous le nom de Touristes. C'est mon épiphanie en quelque sorte, sans vouloir être snob. C'est l'histoire d'une femme qui fuit sa mère tyrannique pour partir en camping-car avec un mec qui est un serial killer, tout aussi tyrannique. Ce film est un bijou. Les comédiens anglais sont dingues. Les comédiens anglais sont toujours impeccables. Question de formation ? On a également une formation excellente. Ce que j'essaie de faire, c'est de m'approcher et d'égaler cet excellence car on a également du talent chez nous. 

 

C : Justement, il s'agit d'un casting très féminin. Pourriez-vous nous en dire plus sur le reste du casting de votre film ? 

Véronique Jadin: Le rôle principal du casting, c'est Jasmina Douieb. C'est une comédienne qui vient également du théâtre. Elle est plus connue comme metteuse en scène, mais elle joue également dans la série belge La Trêve. Elle joue le rôle de la psychiatre dans cette série. Il y a également Laetitia Mampaka que l'on n'avait jamais vue devant une caméra de cinéma. Je l'avais trouvée sur les réseaux sociaux car elle était passée dans l'émission Le Grand Oral, un concours d'éloquence sur France 2. On a également Laurence Bibot que l’on ne présente plus. Peter Van Den Begin (King of The Belgians, The Barefoot Emperor) qui est une star flamande de dingue. On a bien entendu Alex Vizorek mais également Achille Ridolfi (Au nom du fils) et Christophe Bourdon. 

Alex VizorekEn effet, l'équipe était très féminine. Sauf peut-être le troisième assistant car parfois il faut porter des trucs lourds. Il y avait une superbe énergie et vous saviez toutes ce que vous vouliez. C'est assez confortable pour un comédien. On n'avait pas l'impression d'être dans "un grand vertige". Il y a des comédiens qui aiment ça pour pouvoir créer, mais on était sur les rails sans se sentir verrouillés. Mais ce fut un tournage dangereux, pour moi en tout cas !

Véronique Jadin : Au moment d'une répétition, une comédienne devait aller s'enfermer de l'autre côté d'une porte vitrée. Alex tout en engagement physique s'est jeté sur la porte en verre. 

Alex VizorekElle me dit : « Tu dois essayer d'ouvrir cette porte ». J'ai donc décidé de mettre un grand coup d'épaule dans la porte en verre. Bête idée. Boucan d'enfer, la porte a explosé. Heureusement, de l'autre côté, il n'y a pas eu de blessés.

Véronique Jadin : Ce qui est drôle, c'est qu'on a filmé la scène. On voit Alex de dos à la caméra et on voit la chef op' qui entre sur le plateau à moitié pétrifiée à se demander si tu étais défiguré à jamais. Il y a quand même eu quelques petits bouts de verre, mais ça a été. 

Alex VizorekC'est quand j'ai moi-même tenté d'attenter à ma vie. Du coup, les gens se sont sentis autorisés à le faire également. Il y a eu un projo qui est tombé sur ma tête. Je dois avoir deux points de sutures quelque part qui vont me rappeler le film. Le jour où je serai chauve, je me rappellerai du tournage à mon avis.

 

C. : Vous reprenez plusieurs clichés sur le lieu de travail qui n'en sont pas toujours dans ce film. Peut-on parler d'un film engagé ? D'un film féministe ? Quels sont les axes sociétaux et messages principaux que vous souhaitiez faire passer ? 

Véronique Jadin : Delépine, alias Michael Kael, Groland, avec les Anglais, ce sont mes maîtres spirituels. De la comédie à fond politique. Je trouve que c'est plus intéressant que de faire des films de niche qui s'adressent à des gens convaincus sur n'importe quelle thématique d'ailleurs. Donc oui, clairement il y a un message. Si vous voulez découvrir lequel, allez voir le film. 

Alex Vizorek : Ce qui est super, c'est qu'il y a un message et bien sûr qu'il est évident si on veut le voir. Mais surtout, c'est un film de fiction très agréable à voir même si on refuse de voir le message. Et peut-être que c'est d'autant mieux car le message infuse. C'est une vraie comédie qui peut fonctionner même avec les moins féministes d'entre nous. 

Véronique JadinJ'ai juste quelques journalistes hommes qui m'ont dit que les rôles sont un peu exagérés et que les mecs du film sont vraiment poussés au bout du misogynie. Et plein de femmes me disent que c'est l'histoire de leur vie !

 

C. : Quelle est la suite du parcours de L'employé du mois après le BIFFF ?

Véronique Jadin: On attend encore des dates pour une sortie belge et sinon il y a pas mal de festivals qui nous contactent à travers le monde. C'est une très bonne nouvelle. On espère que cela va susciter des vocations chez les distributeurs. Le retour de l'exigeant public du BIFFF a vraiment été excellent en tout cas.

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