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De Premier d'Erik Van Looy

Publié le 01/11/2016 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Brussels Contre Tous

« Belgique : l’Enfer sur Terre ! »… Dans De Premier, la pénible réputation de « berceau du terrorisme islamiste » que se trimballe notre plat pays est prise comme prétexte par des mercenaires pour commettre un attentat machiavélique, leur leader allant jusqu’à évoquer les explosions à l’aéroport et dans le métro de mars 2016… Too soon ?... De mauvais goût? Opportuniste ou simplement dans l’air du temps ? L’appréciation du nouveau thriller d’Erik Van Looy variera selon les sensibilités face à ces questions.

De Premier d’Erik Van LooyBruxelles, 2016. Notre Premier Ministre Michel Devreese (Koen De Bouw) se prépare pour la visite officielle de la Présidente des Etats-Unis (Saskia Reeves). Mais le matin de la rencontre au sommet, le chef d’état est kidnappé par une dangereuse milice d’hommes cagoulés, qui tue son chauffeur, puis prend en otages son épouse et ses deux jeunes enfants. Le but de la manœuvre ? Forcer l’homme d’état à assassiner la Présidente en échange de la vie de ses proches. En cas de réussite, le geste fatal du bouc émissaire sera attribué à une grosse dépression ! Flanqué d’un nouveau chauffeur dont la mission consiste à surveiller ses moindre faits et gestes, Devreese (qui n’est jamais fouillé par la sécurité) est armé d’un revolver et doit abattre sa victime lors d’un tête-à-tête. Confronté à cet épineux dilemme, cherchant toutes les alternatives possibles mais bien décidé à sauver sa famille à tout prix, le martyr va vivre une journée infernale, peut-être sa dernière, et mettre au grand jour un complot d’envergure !

Erik Van Looy ne s’en cache pas : sa spécialité est de réaliser des films flamands « à l’américaine ». Tout dans De Premier, de la musique (amplifiant le suspense) au montage (nerveux), en passant par la photographie (pluvieuse), les scènes d’action (brutales) et un scénario qui accumule les rebondissements, confirme son approche décomplexée, très efficace du cinéma de pur divertissement. Après un film de serial killer combiné à une satire des médias (Shades, 1999), un excellent thriller couronné de succès (De Zaak Alzheimer, 2003) et deux essais réussis dans le néo-giallo (Loft, 2008, suivi de son remake américain à l’identique, The Loft, 2014), le réalisateur (également présentateur vedette à la télévision flamande) s’attaque cette fois au film d’action et d’espionnage, prenant pour modèle la série 24 Heures Chrono. On pense également à des classiques mettant en scène des personnalités politiques en danger comme Un Crime Dans la Tête, Dans la Ligne de Mire, Meurtre en Suspens, Ennemi d’Etat ou le récent La Chute de la Maison Blanche, que le réalisateur admet volontiers avoir visionnés au préalable. À l’instar de ces œuvres, De Premier n’est pas un « film politique » à proprement parler, dans le sens où nous n’apprenons jamais à quel parti appartient le Premier Ministre. Peu importe. Seul le suspense compte : jusqu’où cet homme plus ou moins ordinaire ira-t-il pour sauver sa famille ?

Digne d’un de ces innombrables films d’action sortant de nos jours directement en dvd, De Premier représente le dessus du panier d’un genre usé jusqu’à la corde. Le réalisateur se montre extrêmement compétent dans la montée graduelle de l’angoisse en jouant sur un habile montage parallèle. D’un côté, nous avons le héros poussé à bout (l’excellent Koen De Bouw, acteur-fétiche du réalisateur), anxieux, vulnérable, déjà bien stressé par son job quotidien et peiné par un lourd secret mettant son mariage en péril. Il doit poursuivre sa journée au Parlement, comme si de rien n’était, tout en se préparant, la mort dans l’âme, à appuyer sur la gâchette. D’un autre, nous avons sa famille, retenue en otage dans un building désaffecté et qui tente de s’évader. Une sous-intrigue un peu superflue (et vite oubliée) concerne la fillette effrayée du Ministre, qui est atteinte d’une forte fièvre et qui doit être soignée d’urgence.

De Premier d’Erik Van LooyIl faut bien l’avouer, sur une durée bien remplie d’1h55, le spectateur sera souvent amené à faire appel à sa suspension d’incrédulité tant certaines situations poussent très loin le bouchon de l’invraisemblance ! Ainsi, notre Premier Ministre, sans la moindre escorte, se retrouve-t-il coincé dans une embuscade, à deux pas du Palais Royal, sans que personne ne s’aperçoive de sa disparition ! Une bagarre brutale suivie d’un meurtre sanglant a lieu dans les toilettes du Palais du Cinquantenaire, sans que les 500 gardes du corps des divers chefs d’état présents dans notre capitale ne réagissent ! On peut considérer également que le plan des bad guys est inutilement tarabiscoté et que l’assassinat aurait pu être commis par n’importe quel autre bouc-émissaire. Mais sans ça… il n’y aurait évidemment plus de film ! Pas de quoi faire la fine bouche ni de bouder son plaisir cependant, il s’agit davantage de raccourcis narratifs dictés par les règles du thriller que d’incohérences. Van Looy arrive toujours à nous faire oublier ces grosses ficelles par la maestria indéniable de sa mise en scène. Par ailleurs, il nous fait vite oublier qu’en héros de film d’action, Charles Michel, Elio Di Rupo ou Guy Verhofstadt auraient transformé son film en comédie burlesque !

À l’exception notable de l’Anglaise Saskia Reeves, peu à l’aise dans les talons aiguilles de la Présidente américaine (ses dialogues maladroits se résument à passer la brosse à reluire à notre gastronomie nationale), le casting s’avère uniformément excellent. Outre Koen De Bouw, qui incarne un homme complexe mais droit, Tine Reymer (l’épouse trompée) et Charlotte Vandermeersch (l’assistante/maîtresse) ont toutes deux l’occasion de briller dans des rôles féminins bien écrits, émouvants, dépassant les archétypes. Rare dans un genre typiquement masculin où les actrices sont traditionnellement réduites à des emplois de potiches ! Mais c’est Stijn Van Opstal qui vole la vedette à tous ses collègues, dans le rôle d’un drôle de terroriste, qui prend un malin plaisir à provoquer verbalement le Premier Ministre et à lui rappeler sans relâche l’inexorabilité de son sort. Cet homme de main sadique, dont l’arme de choix est une bague injectant du poison dans les veines de ses victimes, ne dépareillerait pas dans une aventure de 007 ! 

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