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Addio addio amore de Jean-Michel Dehon

Publié le 02/08/2021 par Nastasja Caneve / Catégorie: Critique

« On a tous été vendus pour un sac de charbon », une phrase qui a considérablement marqué la petite fille d’immigrés que je suis. Cette phrase, ma nonna, Margherita, née à Castro en Italie en 1942, me l’a souvent répétée. Aujourd’hui, elle vit à Seraing à côté des terrils et des usines là où son père, son mari, ses frères ont travaillé jusqu’à épuisement. Elle se souvient être arrivée en Belgique en hiver, ses pieds étaient mouillés par la neige. Elle se souvient ne pas avoir compris quand son maître d’école lui parlait. Elle se souvient que son frère est parti travailler à l’usine à 16 ans. Elle se souvient que son mari est mort à l’usine alors qu’elle était enceinte de son premier enfant, mon père. Elle se souvient de son village, du lac d’Iseo, des parfums d’été de l’Italie du Nord qu’elle rêve de fouler avant son dernier voyage. Cette vie, Margherita la partage avec Cleta, Antonietta, Maria, Filomena et toutes les protagonistes de Addio Addio Amore de Jean-Michel Dehon.

Des films, des reportages sur l’immigration italienne, il y en a pléthore qui mettent souvent en lumière la bravoure de ces hommes, pères, maris, frères ayant quitté femmes et enfants pour ce qu’ils pensaient être l’Eldorado. Mais, une fois sur place, parqués dans leurs baraquements de fortune, ces déracinés découvrent la grisaille des terrils qu’ils décrivent dans des lettres édulcorées. Ce que l’Italie ne pouvait pas leur offrir, un travail, ils sont venus le chercher en Belgique, ces deux pays qui étaient de mèche à l’époque, il y a 75 ans, où un homme valait un sac de charbon… 

 

Addio addio amore de Jean-Michel Dehon

 

Jean-Michel Dehon parle de ces hommes, des nuits passées dans les mines, de leurs espoirs mais, il parle surtout de celles souvent restées dans l’ombre, les ragazze, les femmes qui, par amour, ont été souvent forcées de quitter leur Italie chérie. Ce sont elles qui prennent la parole, qui se confient des années plus tard face à la caméra, le regard nostalgique vers la vie qu’elles auraient eu si… Ces femmes, ces héroïnes, portant leurs enfants à bout de bras à la gare de Charleroi.

Elles ont accepté leur situation de fortune en attendant d’avoir un toit décent, elles ont élevé leurs enfants, elles ont appris la nouvelle langue pour pouvoir acheter du pain, elles ont attendu leur mari qui parfois ne revenait pas, elles ont soutenu leurs hommes qui n’en pouvaient plus, elles ont été là, contre vents et marées, patientes, fortes. Avec, toujours en tête, leur terre qu’elles ont quittée sans rechigner.

Addio Addio Amore nous plonge dans les décors d’hier et d’aujourd’hui, en Italie et en Belgique, en alternant images d’archive, photographies gardées précieusement, témoignages actuels dans l’intimité de ces dames qui n’oublient pas à quel point ce fut difficile de s’intégrer dans ce pays où la saveur des pomodori n’était pas la même, ces dames qui seront toujours étrangères là ou ici.

Aujourd’hui, je suis fière de ce trésor, de ces racines italiennes, d’être la petite fille d’une grand-mère qui parle deux langues, qui a deux cartes d’identité, qui a deux nationalités. Aujourd’hui, je veux que mes enfants s’appellent aussi Stefano et Mariano, je ne veux pas oublier. Je veux transmettre à mes enfants comme le font les protagonistes aux accents du sud mises en scène par Jean-Michel Dehon dans ce documentaire aux voix féminines qui chantent leur, notre histoire.

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