Allan Taylor - The Endless Highway de Patrick Ferryn
My Taylor is rich
C'est notre coup de cœur ! Pas seulement pour le parcours d'Allan Taylor, aux superbes chansons, musicien représentant le folksong (après Pete Seeger, Bob Dylan, Arlo Guthrie, Jack Elliott, Derroll Adams, Tom Paxton), mais aussi parce qu'il s'agit d'un documentaire réalisé comme un film de fiction. Tout d’abord, une très belle mise en scène (que ce soit par le choix des angles de la caméra, des réflexions dans les vitres ou les miroirs, les couleurs des passants du bord de mer à Brighton, en Angleterre : le rosé, le pastel, le turquoise). Un sens de la représentation de la représentation : Allan Taylor dans des petits panos qui démarrent sur son visage dans le clair-obscur, à l'extérieur, poursuivent sur une image éclairée à l'intérieur de l'hôtel ou du café dans lesquels il entre (du miroir à la réalité, deux visages similaires, de l'un à l'autre).
Patrick Ferryn, le réalisateur du film, nous avait déjà épaté, il y a cinq ans, avec Derroll Adams, l'homme au banjo. Derroll Adams (l'un des mentors d'Allan Taylor) est une figure emblématique de la folk music américaine. Il a connu, dans les années trente, pendant la grande dépression, une vie errante, ne cessant d'aller d'un endroit à l'autre pour survivre. Il rencontre et découvre le banjo avec Pete Seeger à l'école des beaux-arts de Portland en Oregon (une ville qui verra naître Gus Van Sant). Trajectoire en Californie et à Londres avant de s'installer, dans les sixties, à Bruxelles. Et où cela ? Près de la Grand Place, dans les Galeries Saint-Hubert et les environs (notamment dans la même maison que la monteuse du film, Denise Vindevogel). Les quinquas qui ont connu une Petite rue des Bouchers différente de celle d'aujourd'hui, sans restaurants pour touristes, se souviennent du café Welkom dans lequel Derroll passait une demi-heure tous les jours avec son banjo parmi une clientèle bohème qui, entre deux bières, jouait aux échecs (notamment Edmond Bernhard, grand fan de Lolita, sur lequel il a écrit un texte remarqué dans la revue l'Arc1).
Tout cela pour vous signaler que le film de Patrick Ferryn sur Derroll Adams (lequel s'est retiré à Anvers, à la fin de sa vie) est un petit bijou qui précède Allan Taylor, The Endless Highway.
Dès le début, nous sommes dans la musique et la narration d'Allan Taylor. Après avoir lu On the road de Jack Kerouac à seize ans, l'auteur et interprète anglais quitte Brighton, (beaux plans avec des lumières proches des peintures de Turner et un Allan Taylor très cool parcourant les endroits de son enfance) et se rend aux Etats-Unis, le temple de la folk music. Greenwich Village, Long Island et Long Beach lui rappellent Brighton, il décide de rentrer en Europe : « Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais en Amérique ». Quoi au juste ? Le microcosme de la vie, la nuit jusqu'à l'aube dans les bars, les bistrots, les petits hôtels minables pour lui donner vie en texte et en musique. La poésie de ses chansons s’inspire de rêveurs solitaires, de voyageurs perdus, de philosophes de comptoir avec qui il partage brièvement un instant de la nuit. Bruxelles, pour Allan Taylor, c'est l'intoxicant Au Laboureur, de Jean-Marie Selvais, chaussée d’Alsemberg « avec l'odeur de la fumée et de la bière ». Et entre deux chansons, lors de ses concerts à Grimbergen et à Hoeilaart, il nous emmène à Amsterdam, « la ville des perdants magnifiques » (Chet Baker) et à Paris dans le cimetière du Père Lachaise pour voir la tombe d'Edith Piaf (« Non, rien de rien, non je ne regrette rien »), mais surtout au Beat hôtel, 9, rue Gît-le-Coeur, à l'endroit même où ont vécu Ginsberg, Corso, Orlovsky, Gysing et Burroughs. Un film qui trace le parcours d'une vie dont le souci d'Allan Taylor, troubadour on the road, singer-songwriter, est de découvrir celle de ses contemporains.
« Que le cinéma actuel soit en déficit d'humanité ne fait aucun doute, malgré tous les films dont les médias nous assurent avec une complaisance gourmande que l'on va y retrouver nos petits problèmes et notre petite actualité » (lettre d'Alain Bergala à Fassbinder). La sensibilité et l'intelligence de Patrick Ferryn nous fait revenir aux facteurs humains grâce au parcours poétique d'Allan Taylor et à sa permanente recherche d'une vie qui est aussi obscure à la fin de la nuit que lisse le matin.
Enfin, signalons le superbe travail à l'image de Michel Baudour et au montage de Thomas Baudour ainsi que la voix en français de Christian Crahay qui double celle d'Allan Taylor.
(1) Edmond Bernhard, La thématique échiquéenne de Lolita, Revue l'Arc n°99.
Allan Taylor - The Endless Highway, blu-ray disc et DVD set, édité par stockfisch.