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Animale, de Emma Benestan

Publié le 23/05/2024 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

La bête humaine 

Nejma (Oulaya Amamra), 22 ans, s’entraîne dur pour réaliser son rêve : remporter la prochaine compétition locale de tauromachie, un concours où l’on défie des taureaux dans l’arène. Employée au « Leonard Ranch » en Camargue, avec ses paysages de terre brûlée rappellant par leur ambiance de western les meilleurs épisodes de Yellowstone, elle mène une vie de sacrifices et se concentre sur sa passion plutôt que sur les hommes qui l’entourent, qu’elle ne laisse pourtant pas indifférents. Mais alors que la saison touristique bat son plein, la rumeur d’un taureau en fuite effraie la population, troublée par les découvertes des corps encornés de deux collègues et amis de la jeune femme. Une bête sauvage rôde, yeux noirs et naseaux fumants, devenue folle. Les éleveurs du coin, soucieux de voir leur gagne-pain ruiné par ces drames, se réunissent pour chasser l’animal responsable du carnage.

Animale, de Emma Benestan

Un matin, Nejma se réveille avec un gros hématome sur le bras et sans le moindre souvenir de la soirée arrosée entre collègues du jour précédent. Victime d’un blackout, elle a pu être témoin du premier incident, mais sa mémoire flanche. Lorsque la chasse au « monstre » est lancée, elle reste à l’écart, mais le regrette amèrement quand les chasseurs abattent Tonnerre, son taureau favori, désigné coupable des drames.  

La poussière, la sueur, l’effort physique harassant, un amour fusionnel et un lien quasi télépathique avec de puissants taureaux… voilà le monde de Nejma résumé en quelques mots. Pour son deuxième long métrage (succédant à la comédie romantique Fragile, sortie en 2021), Emma Benestan prend plaisir à nous induire en erreur : alors que l’on croit avoir affaire à un plaisant succédané de ces films sportifs américains avec compétition finale à la clé, la cinéaste, à mi-parcours, effectue un virage à 180 degrés dans une direction aussi inattendue que gonflée : le fantastique tendance body horror à la David Cronenberg ! Une tournure marquée par des cauchemars fiévreux dans lesquels la jeune femme, alitée, se voit marquée au fer rouge comme les bovidés dont elle s’occupe.

Difficile d’évoquer Animale sans dévoiler un élément clé de l’intrigue, même si le secret du film se devine et se dévoile en fin de compte assez rapidement. Si ses thématiques (traumatismes refoulés, masculinité toxique) et sa structure narrative rappellent des œuvres comme Black Swan (2010, de Darren Aronofsky), mais aussi le méconnu (et formidable) film suisse Blue My Mind (2017, de Lisa Brühlmann), le film s’en distingue par son austérité et par la bizarrerie de ses tableaux oniriques. La nature surnaturelle de l’intrigue donne à admirer des effets spéciaux particulièrement réussis, rappelant les prouesses effectuées par Rick Baker sur Le Loup-Garou de Londres.

L’environnement presque 100% masculin dans lequel baigne Nejma ancre le film dans l’air du temps, dans un cinéma post-#MeToo ouvertement féministe et revendicatif, mais avec suffisamment de nuances pour ne pas tourner en diatribe simpliste. Si l’argument surnaturel surgit au sein du récit d’une manière trop aléatoire pour convaincre totalement, et si l’exécution des scènes les plus intenses nous a paru trop timorée (un tel propos nécessitait davantage de fureur), l’interprétation habitée de l’attachante Oulaya Amamra (découverte dans Divines et revue dans Fumer fait tousser) et l’audace indéniable d’une réalisatrice à suivre font d’Animale une proposition de film de genre aussi originale que surprenante, certes un peu maladroite et pas totalement aboutie, mais nous laissant avec le souvenir d’un film viscéral aux allures de cauchemar éveillé.

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