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China Dream de Thomas Licata et Hugo Brilmaker

Publié le 23/08/2021 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Quand le rêve d'un pays devient plus grand que celui de ses habitants

Bienvenue à Datong, ville de l'ouest de la Chine, à quelques heures de Beijing. Ici se jouent simultanément un drame humain et un changement de paradigme social, dans toute la discrétion de cette puissance moderne. En octobre 2017, le président Xi Jinping a présenté son projet d'infrastructures et de partenariats avec les pays limitrophes de la Chine. Un projet pharaonique sobrement intitulé la "Nouvelle Route de la soie", ayant pour objectif de renforcer l'influence de l'Empire du milieu dans la géopolitique du 21e siècle. Le prix de cette nouvelle modernité ? La destruction systématique d'un patrimoine devenu trop ancien, trop gênant pour le régime, et la relocalisation d'habitants ayant tout juste droit à une compensation spartiate, les éjectant de cette cité qui n'est plus la leur.

China Dream de Thomas Licata et Hugo Brilmaker

De ville d'histoire à ville ruine détruite pour reconstruire un semblant de ville musée aseptisée, il ne reste au final qu'une pâle copie de ce qu'a été cette cité multi-centenaire. Les quelques non-alignés qui tentent de résister sont laissés pour compte, abandonnés dans un terrain de moins en moins accueillant, en pleine décrépitude, où les coupures d'eau et d'électricité arbitraires sont l'un des moyens favoris du régime pour faire déguerpir les importuns.

Au rythme des pas du reporter et de l'équipe de réalisateurs Thomas Licata et Hugo Brilmaker, nous parcourons ces trois états d'une même ville. Les artères rectilignes de la cité nouvelle où dominent les géants de béton ; le musée à ciel ouvert, souvenir factice d'une époque devenue plus mythologique qu'historique ; et les maisons toujours plus délabrées de la ville d'avant, toujours plus grignotée par le progrès.

Pour qui sera cette ville du futur ? Des jeunes bien appris, convaincus de faire partie d'un mouvement commun répété à l'école comme dans les lieux publics.

Un conformisme aussi glaçant qu'impressionnant d'efficacité, tenu par une ligne directrice forte et inspirante, celle d'un rêve partagé. Le rêve de tous les Chinois, celui d'une grande renaissance de la Chine. Un rêve de réussite par le travail et l'effort, profitant bien sûr d'abord aux plus aisés et aux nantis avant de profiter à ceux dont ils récupéreront les espaces urbains, quand ces derniers n'auront plus les moyens de s'y loger.

Dans cette architecture de lignes dures, de verre et de métal, quelle sera la place de l'humain? Écrasées par les constructions dont ils sont les faiseurs, les petites gens laissent la place aux agents immobiliers lorsque vient le temps de faire découvrir ces créations luxueuses aux acheteurs les plus offrants. Ce sont alors des jardiniers, des maçons, des employés de maintenance qui vont et viennent au milieu de ces résidences hors de prix, que captent les réalisateurs, sans que personne ne semble s'en soucier.

Datong, future Shenzhen peut-être, ville ultra-moderne où la population n'est plus qu'une donnée, conduite par des algorithmes et gérée par des machines. L'optimisation au plus haut point de l'intérêt général pour la grandeur d'un pays, sans laisser de chances à ceux qui pourraient nuire à son image, et contrecarrer ce rêve si bien implémenté, si magistralement huilé, qu'il en devient cauchemar.

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