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Conann de Bertrand Mandico

Publié le 13/11/2023 par Kevin Giraud / Catégorie: Critique

Après Les Garçons sauvages et After Blue, le cinéaste français signe son troisième long métrage avec Conann, sans se départir de son style unique à la croisée des genres et des techniques. Plongée dans un univers qui se prête tout à fait à la geste épique et sanglante de Conan, dans une adaptation libre, féministe et irrévérencieuse du récit de Robert E. Howard.

Conann de Bertrand Mandico

Pour qui n’est pas familier avec le cinéma de Bertrand Mandico, Conann annonce la couleur - si l’on peut dire - d’entrée de jeu. Âmes sensibles et estomacs fragiles, passez votre chemin et quittez la salle, car le film ne vous fera pas de cadeaux. Sang, tripes et vomissures seront le lot de cette prochaine heure quarante-cinq d’un cinéma hors normes, qui fait fi des étiquettes. Entre quête initiatique, saga à travers les âges, body horror et slasher sanguinolent, Conann flirte avec les limites dans de nombreuses séquences, tout en questionnant notre rapport aux images, aux mondes d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Une esthétique parfois volontairement clinquante et outrancière, qui s’amusera des publics qu’elle offusque tout en régalant les aficionados de ce type d’OVNIS.

Mais quid de Conan, dans tout ceci? Ici, Conan devient Conann, femme aux multiples visages et à la barbarie innommable, que le cinéaste utilise comme guide à travers le temps et l’espace. Femme qui fait fi des barrières entre vie et mort, entre rêve et réalité, dans un jeu de dupes avec Rainer (Elina Löwensohn, habituée du cinéaste et captivante dans ce rôle), le démon qui la hante et la désire tour à tour. Un mélodrame fantastique où Éros et Thanatos dansent en permanence d’un côté à l’autre de l’écran, souvent ensemble, parfois l’un contre l’autre. Pour incarner Conann aux différentes époques de sa vie, six actrices de talent se succèdent à l’écran, ajoutant chacune à ce personnage faussement simple des couches d’affects qui aboutissent à une prestation impressionnante de Nathalie Richard, la plus convaincante de ces apparitions.

Et Bertrand Mandico de se jouer de ces changements d’états et d’actrices pour aborder de nombreux sujets de société d’hier comme d’aujourd’hui, plongeant lames et balles dans les gorges de capitalistes véreux, de barbares monstrueuses ou d’artistes cupides. Rien ni personne n’est épargné par Conann, pas même elle-même.

Si Conann n’est pas sans rappeler, dans la démesure de son horreur, le récent Mad God de Phil Tippett, ce n’est pas un hasard. Bertrand Mandico, avant de passer aux prises de vue réelles, a été formé à l’animation aux Gobelins. Dès son premier court métrage, Le Cavalier bleu, primé à Annecy au tournant des années 2000, on peut déjà y décerner cette esthétique qui revient dans Conann au triple galop. Décors, costumes et mouvements rappellent la stop motion macabre des cinémas d’Europe de l’Est, tout en convoquant les influences plus anciennes de Ray Harryhausen et des grands animateurs de marionnettes du vingtième siècle.

Et tout comme le film de Tippett, on se retrouve envoûtés par l’image, capturés par les sons et hypnotisés par le spectacle fascinant et glauque qui se joue devant nos yeux. Conann n’est pas pour tout le monde, ni même pour tous les cinéphiles. Mais celles et ceux qui réussiront à se laisser gagner par son esthétique passeront un moment de cinéma à nul autre pareil.

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